La peine de mort est-elle anticonstitutionnelle en RDC ?
Le 13 mars, Rose Mutombo, ministre de la Justice a, dans une circulaire adressée aux procureurs, annoncé la levée du moratoire sur la peine de mort. Cette décision est motivée par la nécessité de « débarrasser l’armée congolaise d’une part des traîtres et d'endiguer la recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain entraînant mort d’hommes d’autres part ».
La levée du moratoire s’inscrit dans un contexte marqué par l’agression rwandaise et l’accroissement de la violence urbaine dans plusieurs villes du pays. Les réactions des acteurs politiques et ceux de la société civile n’ont pas tardé. Certains comme le mouvement citoyen la Lucha s'y opposent en fustigeant l’inopportunité de la mesure qui « ouvre un couloir à des exécutions sommaires » pointant « le fonctionnement défectueux de la justice » reconnu par le président de la République Félix Tshisekedi lors de sorties médiatiques. Avec tous ces problèmes institutionnels et les manipulations politiques de la justice, le risque de faire exécuter des innocents est élevé. D’autres, par contre, soutiennent que la mesure serait un instrument nécessaire de dissuasion contre « les traîtres à la République ». À part ces réactions disparates, la mesure aussi polarisante que sensible n’a pas fait l’objet d’un débat de fond au Parlement.
Actes politiques
La peine de mort a toujours existé dans l’arsenal juridique congolais mais les bouleversements socio-politiques des ces trente dernières années lui ont donné un autre rôle politique. Elle relève moins de la justice mais davantage d’une « stratégie politique » comme l’affirme l’ancien député Claudel Lubaya pour qui la peine de mort sert d’épouvantail aux adversaires politiques .
Pendant la première guerre du Congo, l’Alliance des forces démocratiques pour libération du Congo (AFDL) avait été accusée de commettre des exécutions extra-judiciaires. Cette première guerre terminée, le régime, mis en place par cette alliance, a continué à être épinglé par les organisations de défense des droits humains. Plus de 100 personnes ont été exécutées au cours de la seule année 1998. La Cour d'ordre militaire qui appliquait la peine de mort était particulièrement mise en cause puisque ses décisions n’étaient susceptibles ni d’opposition ni d'appel. Sous pression internationale, She Okitundu, ministre des Droits humains de l’époque, a annoncé un moratoire par une lettre au secrétaire des Nations unies le 10 décembre 1999. La Cour d'ordre militaire sera supprimée dans le code de justice militaire de 2002.
Cependant, le contexte politique qui a suivi l’assassinat de Laurent Desiré Kabila, président de la République de 1997 à 2001, et le procès de ses présumés assassins, a relancé la question. En novembre 2002, à la veille du réquisitoire de l'auditeur militaire contre Eddy Kapend et consorts, le moratoire a été suspendu par Ngele Masudi, ministre de la Justice de l'époque.
Ce moratoire était un acte politique ; sa suspension de 2002 l’était également. En effet, le régime de Laurent Désiré Kabila qui était en conflit avec ses alliés rwandais et ougandais voulait renouer le dialogue avec la communauté internationale à laquelle il fallait donner des gages de respect de droits humains et d’ouverture. Cependant, l’assassinat du président va bouleverser cette trajectoire entamée en 1999. Étant donné les circonstances, pour les autorités, il fallait réprimer ce crime considéré comme une déstabilisation des institutions du pays à haut niveau. La peine de mort fut encore mobilisée comme la sanction la plus lourde à la hauteur du crime. L'affaire Eddy Kapend et consorts va justifier la suspension du moratoire entre novembre 2002 et janvier 2003, date des dernières exécutions. Depuis, le moratoire a été imposé dans un contexte de réconciliation nationale. Pendant les derniers vingt-un an, toutes les condamnations à la peine de mort était commuées en prison en perpétuité.
Ce moratoire vient d'être levé en mars 2024. La démarche est venue du Conseil supérieur de la défense qui insistait sur l’urgence de sanctionner et décourager les militaires qui se rendraient coupables de « trahison » dans la guerre qui oppose l'armée congolaise FARDC aux rebelles du M23. Le 5 février, Jean-Pierre Bemba, ministre de la Défense, avait affirmé que le conseil a « demandé au chef de l'État de pouvoir lever le moratoire sur la peine capitale, en ce qui concerne les questions de traîtrise des forces de défense et de sécurité ». La peine de mort a ainsi été mobilisé par l’exécutif au travers d’actes politiques discutables, le législatif étant relativement en retrait de ce débat : le Parlement reste réticent à en débattre malgré des propositions de lois d’abolition.
Peine de mort déjà abolie en RDC ?
En décembre 2005, la Constitution a été adoptée par référendum. Promulguée le 18 février 2006 par l’ancien président de la République Joseph Kabila, elle sacralise dans son article 16, le droit à la vie et interdit tout traitement inhumain et dégradant. Elle précise même à son article 61 qu’un « en aucun cas, et même lorsque l'état de siège ou l'état d'urgence aura été proclamé » il ne peut être dérogé au droit à la vie. Le droit à la vie devient ainsi un droit fondamental consacré dans la Constitution qui n’en prévoit pas des exceptions.
Toutefois, une première proposition de loi visant à abolir la peine de mort a été rejetée en novembre 2010 par l’Assemblée nationale. Et malgré les modifications successives du code pénal, son article 5 comprend toujours la peine de mort. La Cour suprême de Justice (CSJ), l'ancêtre de l’actuelle Cour constitutionnelle, avait aussi entretenu cette ambiguïté concernant l’interprétation de l’article 61 de la Constitution. Dans un arrêt du 28 janvier 2011, la CSJ siégeant en matière de constitutionnalité, a déclaré que l’article 61 de la Constitution n’abrogeait pas la peine de mort. Selon elle, « l’interdiction de déroger au droit à la vie signifie simplement qu’en dehors des cas prévus par la loi, le droit à la vie est protégé en toutes circonstances ».
Il serait important que la Cour constitutionnelle puisse se prononcer sur cette interprétation antérieure à sa mise en place et qui pour plus d’un juriste est erronée car contraire à l’esprit et à la lettre de la constitution de 2006.
En attendant une abolition expresse par le législateur, il y a lieu de noter que les dispositions constitutionnelles sont d’application immédiate. Elles ne devraient souffrir d’une lenteur législative. Au cours de la dernière législature passée, André Mbata, premier vice-président de l’Assemblée nationale, avait de nouveau réintroduit une proposition de loi pour abolir la peine de mort. Celle-ci n'a cependant pas été examinée.
Aujourd’hui, il y a une tendance vers l’abolition de la peine de mort dans plusieurs pays et les organisations congolaises de défense des droits de l’Homme plaident pour que cette peine soit extirpée de l’arsenal juridique congolais. Comme l’affirmait Claudine Bela, coordinatrice du Centre d'éducation et de recherche pour les droits de la femme, « nous voulons que le pays puisse déclarer officiellement qu'il a aboli la peine de mort de manière définitive ». Pour les défenseurs des droits humains, il s’agit d’une sanction désuète et anticonstitutionnelle depuis la proclamation de la troisième république quand le peuple, souverain primaire, avait par voie référendaire consacré le droit à la vie comme droit fondamental indérogeable.