Minerais stratégiques en RDC : pourquoi la gouvernance freine le développement
Sur le papier, cette richesse devrait être un puissant levier de développement pour la RDC. Pourtant, le même paradoxe demeure : en 2023, le secteur minier congolais représentait plus de 80 % des recettes budgétaires, près de 50 % des revenus publics, 99 % des exportations, et 55 % du Produit intérieur brut (PIB), selon un rapport de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Dans le même temps, plus de 70 % des Congolais vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour.
Ce contraste est très visible à Lubumbashi et à Kolwezi, villes vitrines du secteur minier congolais : l’électricité et l’eau potable restent rares; et, en dehors des routes d’exportation, celles de desserte agricole sont insuffisantes, impraticables ou inexistantes.
Pourquoi cette situation perdure-t-elle ? Ce blog examine quatre angles morts – lacunes géologiques, artisanat minier désorganisé et non-encadré, défi d’industrialisation et gouvernance politique – qui empêchent la richesse minière du pays de se convertir en levier de développement.
Faible connaissance du sous-sol
La première faiblesse réside dans l’insuffisance de la connaissance du sol et du sous-sol. À ce jour, moins de 20 % du territoire national est couvert par des études géologiques modernes permettant de révéler le véritable potentiel minier du pays. Les données existantes, pour la plupart, datent de plusieurs décennies, et demeurent encore dispersées à l’étranger, notamment en Belgique (au musée de Tervuren) et au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en France.
Le manque de données géologiques nuit à l’attractivité du secteur, surtout pour de nouveaux investissements. L’exploitation minière est une activité coûteuse et risquée : entre 500 millions et 1 milliard de dollars sont nécessaires pour ouvrir une mine, pour des projets dont les retours peuvent se mesurer en décennies. Dans ce contexte, la prévisibilité devient un critère déterminant.
Mais ceci prive également le pays de toute capacité de pilotage stratégique du secteur. Sans données fiables sur les volumes réellement exploitables, la RDC ne peut ni définir un rythme d’extraction soutenable, ni anticiper l’évolution des réserves disponibles, ni planifier l’après-extraction.
Pourtant, pour construire une trajectoire de développement durable, la RDC doit disposer impérativement d’une cartographie précise de son sous-sol et aligner cette connaissance avec ses propres priorités économiques et sociales. Faute de quoi, l’extraction sera continuellement dictée par la seule demande internationale croissante, au détriment des intérêts nationaux.
Dans le Lualaba, par exemple, cette dynamique se traduit par une progression anarchique, et souvent destructrice, de l’activité extractive. À Kolwezi, dans des quartiers résidentiels comme la cité Gécamines, les maisons et bâtiments se fissurent et le sol s’affaisse sous les trépidations incessantes des engins miniers. Plus loin, au village de Yenge, à une dizaine de kilomètres de la ville, l’exploitation contamine l’eau, l’air et les plantations agricoles.
Certes, l’étendue du territoire congolais rend toute cartographie géologique extrêmement coûteuse, d’autant plus que le pays est confronté à de nombreuses priorités concurrentes. À titre d’exemple, la campagne géologique était évaluée à plus de 350 millions de dollars selon le contrat signé en 2019 avec Xcalibur Airborne Geophysics, spécialisé dans la géophysique et la cartographie aériennes (61 millions pour la première phase, 297 millions en option complémentaire). Or, depuis sa création en 2002, les ressources financières dotées au Service géologique national du Congo (SGN-C) n’ont jamais été suffisantes pour qu’il remplisse ses missions.
L’artisanat minier, le maillon le plus vulnérable
Ce manque de connaissance géologique affecte également l’artisanat minier, un autre défi de taille pour le secteur. Pour le cobalt, par exemple, faute de zones d’exploitation artisanale (ZEA) clairement délimitées, viables et encadrées, comme l’exige l’article 109 du code minier 2018, une grande partie de l’exploitation artisanale se passe dans un cadre informel, au mépris de toute sécurité juridique ou technique.
Entre 150 000 et 200 000 personnes dépendent de l’exploitation artisanale du cobalt pour leur survie. Ce secteur représenterait environ 10 à 30 % de la production totale. Cependant, pour les mineurs artisanaux, communément appelés « creuseurs », la promesse de rentabilité et d’amélioration de leurs conditions de vie demeure largement illusoire.
Ces derniers sont les maillons les plus vulnérables d’une chaîne d’approvisionnement profondément exploitative.
Dès la sortie des puits, ils passent souvent par des négociants, qui servent d’intermédiaires avec les sites de traitement ou les comptoirs d’achat. Mais ces négociants participent à la prédation des creuseurs, en sous-évaluant les teneurs ou en manipulant les poids des produits.
À cela s’ajoutent les coopératives, des structures censées encadrer les ZEAs, mais qui, dans la pratique, participent elles aussi à l’exploitation des creuseurs. Si quelques exceptions existent, ces structures sont le plus souvent sous le contrôle des élites politiques nationales ou provinciales. Selon une étude de IIED et Afrewatch, certaines imposent des “paiements officieux” pouvant atteindre 20 % de la production des artisanaux.
Enfin, au sommet de cette chaîne, viennent les comptoirs d’achat. À Kolwezi et à Lubumbashi, ces comptoirs sont en grande partie tenus par des opérateurs libanais, indiens ou chinois, souvent soutenus par les dirigeants politiques. Les creuseurs n’ont quasiment aucun pouvoir de négociation face à ces derniers.
Le poids des sacs et même la teneur des minerais sont souvent manipulés comme en témoignent plusieurs creuseurs : un sac de 25 kg peut être affiché à seulement 15 kg, voire 10 kg, sur la balance des comptoirs. La teneur, mesurée par un spectromètre (communément appelés “Metorex”), affiche, selon les creuseurs, des teneurs bien plus basses. Ces derniers, dont la majorité ne peuvent se procurer un spectromètre, sont souvent obligés de déclarer uniquement un seul minerai (généralement le cuivre), même si leurs sacs peuvent en contenir plusieurs, par crainte de se voir imposer des conditions encore plus défavorables.
Certains creuseurs n’ont d’autre choix que de s’endetter auprès des chefs de ces comptoirs d’achat ou des négociants. Ces avances les lient un peu plus à l’emprise de ces derniers. Et quand certains tentent malgré tout de faire jouer la concurrence, le constat est le même : les acheteurs se concertent pour aligner — et tirer vers le bas — les teneurs et les prix.
Si les propriétaires de comptoirs rejettent ces accusations, une plainte récurrente revient chez les négociants et les creuseurs : autrefois, ils « [s’y] retrouvaient » entre eux, avant l’arrivée massive des acteurs étrangers, principalement les chinois. Comme le confiait l’un d’eux : « Ici, les propriétaires de comptoirs ne se contentent pas de nous voler ; ils nous demandent comment procéder : qu’on coupe sur le poids ou sur la teneur ? ». Par ailleurs, les creuseurs artisanaux reconnaissent qu’en l’absence d’outils nécessaires, ils avancent en tatonnant, et leurs maigres bénéfices tiennent plus du hasard.
Une stratégie d’extraction sans industrialisation
Au-delà des défis liés à l’extraction, l’absence quasi totale de transformation locale des minerais constitue l’une des faiblesses les plus criantes de la stratégie minière congolaise. La RDC a une stratégie d’extraction et d’exportation du brut et non d'industrialisation, résume un géologue. En l’absence d’une industrie capable de raffiner et transformer ses minerais, la RDC continue d’exporter des produits à faible valeur ajoutée.
Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. En 2000, 12 % de la production du cobalt était raffinée sur le sol congolais, une part qui a chuté pour atteindre 0 % en 2016. Pendant ce temps, la Chine voyait sa propre capacité de raffinage s’envoler, passant de 3 % à 52 % sur la même période. Aujourd’hui, la Chine raffine plus de 70 % du cobalt, alors que la majorité du cobalt quitte la RDC sous des formes semi-transformées.
Or, ce n’est qu’une fois ces produits exportés qu’ils génèrent de véritables marges, mais dans les pays étrangers.
Le déficit énergétique est un frein majeur à toute transformation locale. Raffiner seulement un kilogramme de métal de cobalt exige environ 156 kilowatts d’énergie. À titre d’illustration, pour transformer les 220 000 tonnes de cobalt produites en 2023, il faudrait 34 térawattheures, soit plus du double des 13,6 térawattheures produits dans l’ensemble du pays en 2024. À cela s’ajoute une offre qui est structurellement insuffisante en énergie: le secteur minier aurait besoin de 2 300 mégawatts, alors que la Société nationale d’électricité (SNEL) n’en fournit que 730, auxquels s’ajoutent 370 importés de la Zambie. Mais ceci est toujours largement en deçà des besoins réels. Par ailleurs, la RDC a un des taux d’électrification les plus faibles au monde : moins de 10 % de la population a accès à l’électricité, avec un taux de 35 % en zone urbaine et de moins de 1 % en zone rurale. Le réseau électrique congolais lui-même est fragmenté et inadapté aux besoins de l’industrie minière.
Dans ce contexte, toute transformation locale à haute valeur ajoutée du cobalt, fortement énergivore, reste hors de portée.
Une gouvernance minière sous emprise politique
Au-delà de toutes ces limites techniques, le nœud du problème est surtout politique. La RDC ne manque ni de lois ni de plans stratégiques; c’est leur application qui fait défaut. Le code minier révisé en 2018 promettait de renforcer et rétablir sa souveraineté sur ses ressources : rapatriement de 60% des ventes à l’exportation, la participation requise d’au moins 10 % des personnes physiques de nationalité congolaise dans le capital social des sociétés minières ou le relèvement de la quotité de la participation de l’Etat dans le capital social des sociétés minières.
Pourtant, sur le terrain, la RDC est toujours dépendante de capitaux et d’expertise extérieurs. L’Entreprise générale du cobalt (EGC), conçue pour centraliser l’achat de la production artisanale, a notamment bénéficié d’un préfinancement de la firme Trafigura pour le démarrage de ses activités. Cet accord a suscité des critiques, notamment de l’ancienne ministre des mines, qui y voyait un transfert de fait de son rôle à un opérateur privé.
Les deux plans stratégique de développement du secteur minier suivent la même trajectoire. Le premier (2016-2021) est resté au stade technique faute de validation politique. Quant au second (2021-2026), bien que présenté officiellement, sa mise en œuvre concrète reste un défi majeur alors que son calendrier touche à sa fin.
Au même moment, la « présidentialisation » du secteur continue. Comme avec le contrat sino-congolais négocié et géré depuis la présidence sous le régime précédent, les nouveaux accords miniers se discuteront encore dans un cercle restreint. Les communautés vivant au pied des gisements n’en découvriront l’existence qu’une fois les engins déployés ; elles subiront alors les décisions prises au sommet sans avoir jamais été consultées.
Transformer le secteur minier en un véritable moteur de développement reste possible. Il faut pour cela une planification industrielle rigoureuse, des institutions stables, et surtout, une volonté politique inscrite dans la durée.
La fenêtre d’opportunité, elle, se rétrécit. Aujourd’hui, la valeur stratégique d’un minerai comme le cobalt est avant tout déterminée par les pays qui le transforment en produits finis, et non par la simple détention des réserves. Tant que les États-Unis, l’Union européenne ou la Chine le jugent indispensable à leurs secteurs stratégiques et restent vulnérables face à une offre mondiale concentrée majoritairement en RDC, le cobalt conservera son importance économique et géopolitique. Cependant, l’apparition de substituts, la diversification des sources d’approvisionnement, ou l’émergence de nouvelles technologies moins exigeantes en cobalt, pourraient très rapidement faire disparaître cette centralité.
Ce 20e anniversaire de la DRC Mining Week est donc une occasion de mettre en lumière le potentiel inestimable de la RDC, mais surtout de rappeler qu’une fenêtre de rentabilité peut se refermer.