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RDC : des minerais stratégiques, mais pour qui ?

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Blog Ebuteli

RDC : des minerais stratégiques, mais pour qui ?

Nov 17, 2025
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Dans le Lualaba et le Haut-Katanga, provinces au cœur des minerais stratégiques (cuivre et cobalt), l’extraction minière génère des milliards de dollars chaque année. Mais cette richesse alimente d’abord Kinshasa et les réseaux politico-économiques locaux. En bas de la chaîne, les creuseurs artisanaux survivent avec des revenus de quelques dollars, dans des conditions de travail précaires et dangereuses, tandis que les communautés minières assument l’essentiel des coûts sociaux et environnementaux de l’extraction. Ce blog retrace cette fracture entre rentes captées en haut et coûts concentrés en bas.

Après l’effondrement des prix du cobalt, passés sous 22 000 dollars la tonne, début 2025, et après un pic d’environ 95 000 dollars la tonne en mars 2018, la RDC a suspendu toutes les exportations en février 2025. Prévue pour quatre mois, la mesure a été prolongée en juillet, puis remplacée à partir du 16 octobre 2025 par un régime de quotas. Pour l’exercice en cours, seulement 18 125 tonnes seront exportés et 96 600 tonnes pour 2025–2026, soit un volume largement inférieur aux plus de 200 000 tonnes produites en 2024. D’après le gouvernement, l’objectif est de stabiliser le marché et, à moyen et long terme, d’inciter à la transformation locale. Le président Félix Tshisekedi présente d’ailleurs cette mesure comme un instrument de souveraineté économique.

Le contexte international nourrit cette ambition. Les minerais congolais alimentent les technologies de la transition énergétique. Sur les listes américaine et européenne des matières premières critiques, la RDC figure parmi les pays clés, avec des réserves importantes de cobalt (premier producteur mondial), cuivre (deuxième producteur mondial), zinc, lithium et manganèse, entre autres.

Depuis 2018, le discours de reprise en main du secteur minier s’est durci. Le code minier de 2018 a classé le cobalt comme « substance stratégique » avec une redevance portée à 10 %, et Tshisekedi a promis de  « rééquilibrer » le secteur, y compris par la renégociation du contrat sino-congolais de 2008, critiqué pour son opacité et ses faibles retombées locales, ainsi que d’autres mesures d’assainissement du secteur. Mais ces ambitions se heurtent à une capture de rente permise, organisée et couverte par les acteurs politiques congolais eux-mêmes. À mesure qu’on passe du national au provincial puis au local, la dépossession des revenus et du pouvoir de décision sur les mines s’aggrave, et la précarité se creuse. Le pouvoir central capte l’essentiel des revenus et tord les mécanismes de partage, les provinces voient leur marge de manœuvre réduite par les services déconcentrés, et, au bout de la chaîne, les communautés, les creuseurs artisanaux et l’environnement supportent surtout les coûts de l’extraction.

 Une autonomie des provinces entravée

La Constitution de 2006 promettait une autonomie fiscale aux provinces, basée notamment sur la retenue à la source de 40 % des recettes à caractère national avant tout reversement au gouvernement central. La révision du code minier en 2018 allait dans le même sens. L’article 242 de ce code a ainsi consacré une allocation directe de la redevance minière : 50 % pour le pouvoir central, 25 % pour la province, 15 % pour les entités territoriales décentralisées (ETD), et 10 % pour le Fonds minier pour les générations futures (FOMIN).

 Sur le papier, le principe d’un partage existe, mais dans les faits, son application est défaillante.

 En 2023, les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga ont généré à elles seules plus de 1,127 milliard de dollars de redevance minière, soit près de 95 % du total national (1,19 milliard). Les deux provinces ont permis au Trésor public d’encaisser près de 547 millions de dollars (soit 50 % de leur production combinée), dont 420 millions pour le Lualaba et 127 millions pour le Haut-Katanga. Pourtant, elles ne retiennent pas les 40 % comme le prévoit la Constitution, mais reçoivent des rétrocessions décidées par le pouvoir central. En 2023, le Haut-Katanga et le Lualaba n’ont perçu qu’environ 10,2 % et 4,2 % des montants qui auraient dû être retenus à la source.

Made with Flourish 

Ces provinces ont pourtant structuré leurs propres administrations minières de manière indépendante du pouvoir central. Chacune a une direction provinciale des mines qui lui permet théoriquement de superviser les activités minières et collecter les données de production, entre autres. Mais ces directions opèrent dans l’ombre de structures centrales beaucoup plus puissantes. 

 Les services déconcentrés du pouvoir central, notamment la division provinciale des mines et le Service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière à petite échelle (SAEMAPE), continuent d’exercer la quasi-totalité des prérogatives opérationnelles. Ces entités qui relèvent hiérarchiquement du ministère national des mines, limitent l’action des services provinciaux. Ceci entre en contradiction avec la loi organique de 2016 sur l’organisation et le fonctionnement des services publics du pouvoir central, des provinces et des ETD, qui reconnaît pourtant leurs propres structures administratives. Un cadre de la direction provinciale des mines du Haut-Katanga interrogé à Lubumbashi déplore que son service ne dispose d’aucune maîtrise sur les statistiques de production de la province à cause des entraves à l’exercice de leurs missions par les services déconcentrés. Son service est réduit en une coquille vide qui se contente de recevoir les chiffres qui lui sont fournis par ces services centraux sans aucune possibilité de contre-vérification. Pourtant, « c’est sur base de ces chiffres que la redevance minière, l’un des revenus les plus importants de la province, est calculée », explique-t-il. Ceci crée de l’opacité car les provinces perçoivent leurs parts de redevance minière sur la base de données qu’elles ne peuvent ni vérifier ni contester.

 Par ailleurs, les services centraux se plaignent également de la confusion entretenue par les gouverneurs de province sur la gestion des services déconcentrés en provinces. Dans une note circulaire du 28 décembre 2022, le ministre de la Fonction publique a précisé que ces services relèvent du pouvoir central, non des autorités provinciales. Il rappelle que les agents déconcentrés sont placés sous la coordination du gouverneur, mais que ce dernier n’exerce qu’un pouvoir délégué, strictement encadré.

 L’autonomie promise par la Constitution se réduit ainsi à une autonomie de façade, tandis que la maîtrise des flux de rentes demeure solidement verrouillée à Kinshasa.

 La recentralisation fiscale de facto

La fiscalité minière locale n’échappe pas à cette logique de dépossession. Dans le Haut-Katanga, la direction des recettes du Haut-Katanga (DRHKAT) ne travaille directement avec la direction provinciale des mines que pour les recettes découlant des exportations issues de la production artisanale. Le SAEMAPE et la division provinciale des mines continuent de jouer un rôle prépondérant dans la constatation de certaines recettes qui devraient être encaissées par les régies financières provinciales. En principe, selon l’​​ordonnance-loi n°18/004 du 13 mars 2018, ces recettes devraient relever des provinces. En pratique, les services centraux refusent de collaborer avec les structures provinciales. 

 La DRHKAT n’assure qu’un rôle d’encaissement au nom de la province sans disposer des moyens de vérifier si les montants collectés correspondent réellement à la production constatée. De plus, la division provinciale des mines, qui dépend du pouvoir central, perçoit une double prime : une première versée par la direction générale des recettes administratives (DGRAD) et une seconde allouée par la province sur sa part de redevance minière (prime DRHKAT). Ce double paiement d’un service déconcentré viole l’article 39 de la loi de 2016 qui prévoit qu’un service public soit pris en charge budgétairement par l’échelon dont il dépend. Les provinces qui ont pourtant besoin d’assez de moyens pour leur développement en sont ainsi dépouillées au profit du pouvoir central. 

Une précarisation des creuseurs artisanaux et des communautés

Au bout de la chaîne d’extraction, l’artisanat minier continue d’être la plus grande victime. Selon l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), la production artisanale du Lualaba atteignait environ 1 400 tonnes de cuivre par jour en 2020, puis près de 4 000 tonnes en 2021, tandis que celle du cobalt passait de 380 à 530 tonnes. Mais les revenus de cette production sont largement captés par des intermédiaires : chefs de puits, sponsors (qui financent l’extraction et peuvent prélever jusqu’à la moitié du revenu), coopératives, détenteurs de titres, et négociants.

 La production artisanale est principalement vendue dans des comptoirs d’achat, mais les prix affichés à l’entrée de ces points de vente ne correspondent souvent pas aux tarifs réellement appliqués. Selon un négociant interrogé, les prix sont souvent imposés unilatéralement par les comptoirs, majoritairement tenus par des opérateurs chinois ou libanais, sur la base de grilles opaques, souvent déconnectées des cours internationaux. Les creuseurs dénoncent également des pratiques de sous-évaluation systématique du poids et de la teneur au moment de la transaction, en s’appuyant sur des biais dans les appareils de mesure (localement appelés Metorex).

 Les revenus journaliers des creuseurs oscillent ainsi entre 5 000 et 14 000 francs congolais (2 à 6 USD). Pourtant, ces montants dérisoires sont le fruit d’un travail physique difficile. Sur le gisement de Kamilombe (Lualaba), par exemple, un creuseur décrit : « Ici, il y a beaucoup d’eau dans les puits, mais la teneur est très élevée. On travaille de 6h à 18h. Les équipes sont organisées en deux groupes de dix personnes. Chaque équipe reste deux jours dans les puits, stocke le minerai au fond, puis le fait remonter en surface dans des sacs de 15 à 20 kg. En moyenne, cela représente 300 à 400 sacs. Mais dans d’autres sites avec moins d’eau (comme Mutoshi), on peut atteindre jusqu’à 600 sacs après deux jours. » À ce rythme, une équipe appartenant à un « boss ou sponsor » peut remonter, sur un cycle de deux jours, plusieurs tonnes de minerai brut, mais ces volumes varient selon la teneur du minerai, la dureté de la roche et les caractéristiques de chaque site.Cette intensité de travail s’inscrit dans un environnement hautement risqué. En novembre 2025, un grave accident sur le site semi-industriel de Kalando (Lualaba), a fait plus de quarante morts parmi les exploitants artisanaux, après l’effondrement d’un pont de fortune au-dessus d’une tranchée creusée par un partenaire chinois, dans un contexte de militarisation et de confusion autour du contrôle du site.

 Mais entre les efforts fournis et la valeur réelle du minerai qu’ils extraient, l’écart est immense. En 2020, la production artisanale estimée à 1 400 tonnes de cuivre brut par jour représentait une valeur théorique de 11 millions de dollars sur le marché international (au prix moyen de 8 000 dollars la tonne raffinée) ; celle du cobalt, autour de 380 tonnes, valait près de 8,4 millions de dollars par jour. Un contraste saisissant avec les quelques dollars que perçoivent ceux qui arrachent ces minerais à la terre.

 Des coopératives instrumentalisées

 D’autre part, faute d’espaces viables, une partie de l’activité artisanale glisse vers des périmètres concédés aux exploitations industrielles. Ici, la cohabitation se règle au cas par cas, entre répression, tolérance tacite et arrangements temporaires. Le gouvernement a reconnu, lors du Conseil des ministres tenu à Kolwezi en juin 2025, que ces frictions sont devenues structurelles.

 Dans ce contexte déjà désavantageux pour les creuseurs, beaucoup de coopératives s’éloignent de leur vocation d’entraide et deviennent des instruments de captation. Les rares sites réellement rentables sont accaparés par des réseaux politico-économiques capables d’industrialiser de fait des opérations censées rester artisanales, de contourner les limites de périmètre et de neutraliser les contrôles.

 La coopérative minière pour le bien-être des mineurs artisanaux du Katanga (Comibakat), implantée à Kolwezi, illustre bien ce cas. Fondée en 2012 par Fifi Masuka, aujourd’hui gouverneure du Lualaba, Comibakat est officiellement dirigée depuis 2015 par ses proches. La Comibakat est accusée de mener des activités de type industriel en contradiction avec son statut artisanal (notamment l’usage d’engins lourds), d’opérer sur des périmètres réservés à d’autres titulaires de droits, et de se soustraire aux contrôles fiscaux et environnementaux. Selon une enquête de Africa Intelligence, Comibakat utiliserait des noms d’emprunt pour opérer discrètement sur des concessions appartenant à des industriels. Ces activités sont coordonnées avec des hommes d’affaires proches de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti présidentiel, ainsi que d’opérateurs étrangers. L’enquête évoque en outre des appuis d’éléments des FARDC et de la police et de la Garde républicaine (GR) sans base légale apparente. 

 Autre exemple : en juillet 2025, des engins lourds escortés par la GR et des éléments de la 22e région militaire ont pénétré illégalement sur le site de Kingamyambo, exploité par Metalkol, pour y extraire des minerais sans autorisation, au nom de la famille présidentielle. Un agent de l’entreprise explique que ces extractions illicites mettent en péril la viabilité du gisement. Selon lui, « sur ce site, Metalkol ne travaille pas seulement sur un gisement classique, mais traite les anciens rejets du concentrateur de Kolwezi, acquis auprès de la Gécamines. Il s’agit d’une réserve précisément quantifiée, à durée de vie limitée. Chaque extraction non autorisée réduit mécaniquement cette durée, affectant directement les perspectives de production, de rentabilité et d’emploi. »

Lorsque les autorités sont finalement arrivées sur place, un groupe d’opérateurs chinois et congolais a été interpellé, sans que l’enquête n’éclaire la présence de la GR ni les chaînes de commandement impliquées.

 Enfin, à cette captation s’ajoutent des effets environnementaux que les populations paient au prix fort. Dans les villages de Samukinda et Sakashala, à quelques 20 km de Kolwezi, des rejets acides ont pollué les sources d’eau disponible après le débordement d’un bassin dû aux pluies, forçant les habitants à se ravitailler plus loin et à leurs frais. Le village de Samukinda est par exemple situé entre les opérations minières de Thomas Mining, Chemaf et de Central copper resources (CCR). Si certains sites voient leurs activités suspendues pour des motifs similaires, les dommages causés ne disparaissent pas. En novembre 2025, suite à un débordement d’effluents acides ayant touché plusieurs quartiers de Lubumbashi, le gouvernement a décidé d’interrompre temporairement les activités de CDM au Haut-Katanga. Mais ces cas ne sont que la partie visible; ceux qui remontent jusqu’à Kinshasa. Plus on s’éloigne des centres, plus les abus se multiplient et moins ils sont documentés.