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Désarmement de la LRA : la fin de 15 ans de violence dans les Uélé ?

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Blog Uélé

Désarmement de la LRA : la fin de 15 ans de violence dans les Uélé ?

Ce billet de blog constitue le sixième volet d’une série d’analyses sur les dynamiques sécuritaires dans les Uélé. Il s’intéresse à la l’Armée de résistance du seigneur (LRA) qui, après 15 ans de violence dans les Uélé, a fait l’objet d’un programme de désarmement achevé en septembre 2023. Cela suffira-t-il à ramener la paix dans cette région ?
May 20, 2024
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La LRA, un groupe responsable du massacre de plus de 100 000 personnes et de l'enlèvement de près de 100 000 autres entre l’Ouganda, le Soudan du Sud, la République centrafricaine (RCA) et la République démocratique du Congo (RDC) a-t-elle enfin déposé les armes ? En septembre 2023, la dernière phase d’un processus de désarmement s'est clôturée à Mboki (RCA) avec la reddition de 67 personnes dont 61 ont été rapatriées en Ouganda et deux femmes centrafricaines ont choisi de rester en RCA avec leurs quatre enfants.

Aux origines de violence de la LRA dans les Uélé

La LRA fut créée en 1987 à Gulu dans le nord de l'Ouganda par Joseph Kony, neveu d'Alice Lakwena, leader d'une milice dénommée « Holy Spirit Movement » (Mouvement du saint esprit). À partir de 1994, la LRA a bénéficié de soutiens militaires du régime de Khartoum qui l’avait aussi autorisée à utiliser son territoire comme base arrière pour contrer la rébellion du Mouvement populaire de Libération du Soudan (SPLA). En représailles, Kampala a, à son tour, apporté un soutien militaire au SPLA pour contrer ses ennemis.

Les relations se sont ensuite améliorées entre Kampala et Khartoum : un accord a été signé entre les deux capitales à Nairobi en 1999, puis, leurs relations diplomatiques ont été rétablies, en 2001. La même année, les États-Unis ont inscrit la LRA sur la liste des organisations terroristes.

En 2002, Kampala est autorisé par Khartoum à déployer des militaires sur le sol soudanais pour traquer la LRA. Dénommée « Operation Iron first », la traque de la LRA tourne au fiasco et les rebelles retournent en Ouganda pour intensifier  des combats dans plusieurs régions, notamment Lira, Apac, Soroti, Katakwi, Kumi et Kotido provoquant le déplacement de 820 000 personnes et l'enlèvement de  8 400 autres.

Les crimes commis par ce mouvement entre 2002 et 2004 en Ouganda provoquent l’émission d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre son chef, Joseph Kony, et quatre de ses lieutenants, Vincent Otti, Okot Odiambo, Raska Lukwiya et Dominic Ongwen, en 2005. Au cours de cette année, à la mi-septembre, la Force de défense du peuple ougandais (UPDF) lance des opérations contre la LRA simultanément en Ouganda et au Soudan du Sud, entraînant sa défaite. Dans la foulée, un groupe d’environ 400 combattants dirigés par Vincent Otti, l’adjoint de Kony, s'enfuit vers le Haut-Uélé, dans le Nord-Est de la RDC. 

Ces combattants choisissent le Parc national de la Garamba (PNG) pour établir leur base et vont se lancer dans l’agriculture, le braconnage et l’exploitation minière. 

La LRA et le gouvernement de Kampala amorcent finalement des négociations de paix sous les auspices des autorités sud-soudanaises, permettant la signature d’un accord de cessez-le-feu en août 2006. Cet accord prévoyait l’arrêt du redéploiement des troupes ougandaises au Soudan du Sud pour traquer la LRA, un engagement non tenu. De son côté, la LRA s’est retirée de ce processus. 

Par conséquent, l’option d’une opération militaire a été levée pour contraindre les rebelles à déposer les armes. Cette menace entraîne des désertions dans les rangs de la LRA et la reddition des combattants à la base de la mission des Nations-unies au Congo (Monuc) à Dungu.

La LRA accuse les villageois, les prêtres et les autorités locales d’être complices de ces désertions et organise des expéditions punitives le 17 et le 18 septembre 2008 à travers une série de massacres et d'enlèvements dans huit villages (Duru, Mandoro, Nambili, Kiliwa, Kpaika, Nambia, Bitima et Bayote) situés le long de la route empruntée par les déserteurs.

Cet épisode marque le début d’une ère tragique pour la région : entre septembre et novembre 2008, Human Right Watch enregistre le massacre d’au moins 161 civils et l’enlèvement de 316 enfants. L'urgence d'une opération militaire pour protéger la population civile s'impose.

Opérations militaires contre la LRA et la dispersion de ses combattants dans la région

Pour la première fois, le gouvernement de Kinshasa met en place, entre septembre et octobre 2008,  l’opération « Rudia », mobilisant jusqu’à 3000 militaires pour combattre la LRA, mais sans être efficace. Ne sachant à quel saint se vouer, la population locale face à une menace croissante tente de s’organiser en « groupes d’auto-défense locaux », avant que l’opération Eclair du tonnerre « Operation lighhtning thunder » lancée par l’UPDF avec le soutien américain en matière de renseignements et la participation des FARDC et de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) n’intervienne le 14 décembre 2008.

Cette opération ne parvient pas à éviter la réorganisation de la LRA en groupuscules capables de créer la diversion et de mener plusieurs attaques simultanément. Entre décembre 2008 et janvier 2009, elle tue 620 civils et enlève 160 enfants et réussit à étendre le théâtre de violence, en mars 2009, dans une zone comprise entre Bas-Uélé et la RCA.

Cette dynamique devient complexe, les FARDC appuyées par la MONUC avec la coopération militaire ougandaise, engagent une nouvelle opération militaire dénommée « Rudia II » à partir du 27 avril 2009, infligeant d’importantes pertes à la LRA. Son troisième plus haut responsable, Caesar Acellam et plusieurs commandants sont neutralisés, le colonel Charles Arop, responsable du massacre de décembre 2008 va se rendre le 3 novembre 2009.

En RCA, les États-Unis déploient, en 2011, des unités spéciales en RCA pour traquer ses combattants. Bien que cette opération ait fragilisé la chaîne de commandement de la LRA, son leader, Joseph Kony, n’est pas capturé. Cependant, Dominic Ongwen, un de ses lieutenant se rend aux forces de l’AFRICOM, en 2015, avant d’être transféré à La Haye où il est condamné en 2021 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Renouant avec l’agriculture et divisée en deux ailes (l'une basée à Mboki et l'autre à Zemio  en RCA ), la LRA va s’allier à l'Unité pour la paix en Centrafrique (UPC, ancienne faction de la rébellion Séléka, composée majoritairement des Peuls). La nouvelle coalition UPC-LRA participe à plusieurs combats dans la région. Lorsque, entre février et mars 2023, des dizaines de personnes, dont au moins 30 enfants âgés de moins de 18 ans, sont enlevés à Ango dans le Bas-Uélé, la LRA est pointée du doigt par la société civile locale. 

Le désarmement et le rapatriement des combattants de la LRA pourraient-ils favoriser le retour de la paix dans les Uélé ?

Une initiative du désarmement de la LRA est finalement prise par l’ONG néerlandaise PAX et son partenaire, Actions pour la promotion rurale (APRu), une ONG basée à Faradje (Haut-Uélé) où elle avait contribué à la défection de certains combattants de ce mouvement. En janvier 2023, le docteur Achaye Ali, un des leaders des combattants de la LRA, signe une déclaration au nom des deux ailes de ce mouvement, demandant à PAX et APRu de faciliter le dialogue avec les pays de la région, notamment l’Ouganda, son pays d’origine, en vue d’un programme de désarmement, démobilisation, rapatriement, réinsertion et réintégration (DDRRR). 

L’implication de deux ONG permet aux gouvernements de la RDC, de la RCA et de l’Ouganda, de se réunir en juin 2023 pour signer un accord tripartite sur le DDRRR de la LRA.

Le processus de désarmement de la LRA commence officiellement en juillet 2023 avec l’appui financier de la Belgique et des Pays-Bas, ainsi que le soutien technique et logistique des gouvernements centrafricain, ougandais et de la mission onusienne en RCA (Minusca).  

Ce processus se déroule en trois phases dont la première a lieu à Zemio (le 11 juillet) et les deux dernières à Mboki (14 août et 28 septembre). La quasi-totalité des 158 candidats rendent les armes, parmi lesquels des femmes et des enfants qui étaient, pour la majorité, des dépendants.

Des femmes et enfants sortis de la LRA sont pris en charge localement, tandis que certains congolais et ougandais sont rapatriés en Ouganda et relocalisés à Gulu la ville où la LRA fut créée, pour bénéficier d’une formation socioprofessionnelle et d’une prise en charge psycho-sociale.

Il est également prévu un volet de réconciliation. Mais l'avenir des Congolais rapatriés en Ouganda, dont des femmes et enfants de mère congolaise mais de père ougandais n'est jusque-là pas connu. L’institution congolaise chargée du désarmement, le Programme de désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation (P-DDRCS) ne s'est pas impliquée dans ce processus et le gouvernement congolais n’en fait pas une priorité.

Parmi les ex-combattants rapatriés en Ouganda se trouve un des anciens commandants de la LRA, Ali Salongo, présenté comme le fils de Joseph Kony. Il aurait affirmé que son père est toujours en brousse avec 190 personnes dont 40 femmes, 60 combattants et 90 enfants. 

Cette information a été crédibilisé, le 27 mars, lorsque trois femmes enlevées en 2013 par Joseph Kony dans les Uélé réussissent à s’échapper après 11 ans de captivité, pour se rendre à Sam Ouandja dans la Haute Kotto en RCA, une région éloignée des Uélé.

Peut-on espérer que ce processus de désarmement de la LRA favorise enfin le retour de la paix ? La LRA fut longtemps le symbole de l'insécurité dans la région. Mais au fil du temps, de nouveaux acteurs de la violence sont nés, dont notamment, l'UPC et AAKG, deux milices « tribales » dont les affrontements provoquent des déplacements massifs de populations vers les Uélé et qui font des incursions sur le sol congolais pour piller, tuer et enlever des civils.

D’autres incursions sont celles des soldats et des rebelles sud-soudanais dans le Haut-Uélé. En témoignent des affrontements à l'arme lourde entre ces forces, ayant débordé sur le sol congolais en septembre 2023, provoquant un déplacement d’une partie de la population de Faradje. Une nouvelle incursion rebelle est survenue en avril 2024 dans le même territoire.  

Dans le Bas-Uélé, depuis octobre 2023, des personnes revendiquant la création d'un mouvement dénommé Union pour la révolution de la jeunesse d'Ango (URJA) menacent de chasser les pasteurs nomades peuls, Mbororo. Aucun lien n'a été établi entre ce mouvement et l'AAKG, bien qu’ils aient comme dénominateur commun leur appartenance à la communauté Azande et le ciblage des Peuls.

Parallèlement, en février dernier, une double attaque attribuée à l'UPC a visé des villages sur le territoire d’Ango. Puis, le 14 mars, des assaillants ont enlevé plus de 30 personnes et incendié 35 maisons au cours d’une attaque de grande envergure. Le groupe armé derrière cette attaque n'a pas été clairement identifié.

Un autre mouvement signalé dans cette zone, Palanga Aboro (signifiant jeunes gens en Pazande, la langue de la communauté Zande) opère enfin depuis des années. Le secteur opérationnel Uélé des FARDC l’a accusé d'avoir enlevé des civils en juillet 2023 à Dungu, parmi lesquels un des otages à été libéré en mars 2024. 

La multitude de ces mouvements opérant à la confluence entre la RCA, la RDC et le Soudan du Sud rend complexes les dynamiques dans les Uélé. Le désarmement de la LRA risque de ne pas suffire à ramener la paix.