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L’Alliance fleuve Congo, pour quoi faire ?

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L’Alliance fleuve Congo, pour quoi faire ?

Depuis décembre, Corneille Nangaa, ancien président de la Ceni, est à la tête de l’Alliance fleuve Congo qu’il présente comme un mouvement révolutionnaire alors que les autorités congolaises l'accusent d'être une marionnette du Rwanda. Qui sont les acteurs de ce nouveau mouvement ? Et que cherchent-ils à faire ?
12 juin 2024
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En 1996, une coalition de pays souhaitant envahir le Zaïre de Mobutu a approché un ancien maquisard congolais devenu commerçant en Tanzanie : Laurent Désiré Kabila. Ce dernier est associé à ce projet pour le légitimer et lui donner une image congolaise dans un contexte où le pouvoir de Mobutu, affaibli par la maladie, était contesté. Ce sera l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL). Vingt-sept ans après s’est créée une autre alliance : l’Alliance fleuve congo (AFC).  

L’annonce de sa création a été faite le 15 décembre 2023, par Corneille Nangaa lors d’un point de presse tenu dans un hôtel à Nairobi. Il était aux côtés de Bertrand Bisimwa, président du Mouvement du 23 mars (M23) qui occupe des pans entiers des territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo dans l’Est de la RDC. 

Le 2 janvier, Bertrand Bisimwa présentait l’AFC comme « un cadre plus ouvert, plus large et plus dynamique qui nous permet ensemble d'entamer une marche révolutionnaire ». Le M23 affirme s'être associé à d’autres organisations civiles et politiques pour créer cette plateforme avec comme objectif de « mettre fin à une gouvernance chaotique et prédatrice du pays qui tue ses propres citoyens, les contraignant à opérer un choix honteux et inacceptable entre l’exil et la caporalisation ». Selon ces différentes déclarations, l’AFC serait une alliance entre des entités qui, tout en gardant leur existence propre, poursuivent des objectifs communs. 

Cependant, le 22 février un communiqué signé par le désormais « point focal communication » de l’AFC, Lawrence Kanyuka (qui est aussi le porte-parole du M23) a annoncé une nouvelle organisation qui semblait acter la fin du M23 auquel succéderait l’AFC. La structure de l’AFC est chapeautée par un duo : d’une part le coordonnateur politique, Corneille Nangaa, et d’autre part le coordonnateur militaire Sultani Makenga. Bertrand Bisimwa, qui était jusque-là président du M23, devient coordonnateur adjoint chargé des affaires politiques et diplomatiques. Entretemps, ce dernier a continué à prendre des décisions en tant que président du M23  et plus récemment il a nommé des représentants du M23 dans la diaspora. Toutefois, le M23 est désormais présenté comme la plus grande composante de l’AFC comme pour dissiper toute confusion. 

Le Rwanda et l’Ouganda à la manœuvre ?

Ceci est intervenu dans un contexte de forte implication de l’armée rwandaise aux côtés du M23, y compris en première ligne. Selon le dernier rapport intérimaire du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC, daté de décembre 2023 « des soldats des RDF [Rwanda defence force] appartenant à cinq bataillons différents ont été déployés dans les territoires de Nyiragongo, de Rutshuru et de Masisi » à partir d’octobre 2023. 

Le rapport précise aussi que « les RDF et le M23 ont été soutenus par plusieurs équipes d’appui tactique et de reconnaissance comprenant au total 250 ex-combattants des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et opérant sous le commandement du service du renseignement de la défense du Rwanda. Les blessés et les morts ont été évacués par la route vers le Rwanda. » En février 2024, un drone de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) a même photographié un lanceur de missiles sol-air rwandais sur le territoire de Rutshuru en RDC. 

Par ailleurs, un nombre croissant de sources témoignent d’une implication de l’Ouganda aux côtés du M23. Depuis plusieurs semaines, des éléments de son armée sont signalés en territoire de Rutshuru. Ils étaient en revanche plus loin du front que les Rwandais. Plus récemment, des témoignages concordants affirment qu’ils sont présents sur la ligne de front nord et dans des villages proches de sa frontière. Par ailleurs, les cadres du M23 semblent circuler librement en Ouganda.

Les raisons de l’implication ougandaise sont difficiles à analyser. Kampala a beaucoup à perdre, dont notamment l'autorisation qui lui a été donnée par Kinshasa d’intervenir en RDC pour traquer les rebelles ADF, qui commettent régulièrement des attentats sur son territoire. 

Cette implication de l’Ouganda pourrait néanmoins s’expliquer par la volonté de veiller à sa propre sécurité. Bien que les relations se soient améliorées avec le Rwanda, il serait hasardeux pour Kampala de laisser l'armée rwandaise mener des activités militaires à sa frontière sans surveillance. 

L’Ouganda semble en tout cas avoir été déterminant dans la création de l’AFC. Selon le professeur Kristof Titeca de l’université d’Anvers, dans un récent article pour Afrique XXI, « au cours de l’année écoulée, diverses sources bien informées ont fait état de pressions exercées par l’Ouganda sur le M23 pour qu’il ouvre le groupe, à la fois en termes de composition ethnique (c’est-à-dire au-delà des Tutsis), d’agenda politique et de soutiens extérieurs. Cela permettrait de diluer l’influence rwandaise et d’ouvrir la possibilité à un soutien futur de l’Ouganda, mais aussi de pousser à de prochaines négociations. » 

C’est toutefois depuis Nairobi que la création de l’alliance a été annoncée. Cela avait conduit la RDC à demander des explications aux autorités kényanes dont l’ambassadeur avait été convoqué. Le Kenya a affirmé qu’il n'était pas concerné par cette initiative et n’encourageait ni ne participait aux activités de déstabilisation d’un autre pays. Une enquête avait même été annoncée par les autorités kényanes. 

Le timing était suspect : la RDC venait d’obtenir le départ de la force régionale de la communauté de l’Afrique de l’Est qui avait en son sein un contingent kényan et à sa tête un commandant de la même nationalité. Il est possible que l’AFC ait choisi de faire son annonce à Nairobi pour amplifier les tensions entre le Kenya et la RDC mais aussi pour éviter de mettre en lumière le soutien que le Rwanda et l’Ouganda lui fournissent en ne faisant pas cette annonce depuis ces pays.

Le Kenya n’a pas apprécié l’éviction de son armée de l’est de la RDC. Mais on peut douter qu’il prenne de tels  risques de mettre à mal les intérêts des sociétés kényanes présentes en RDC, notamment dans le secteur bancaire (les banques kényanes Equity et KCB, ont notamment racheté la BCDC et la TMB respectivement, deux des principales banques congolaises). Le 20 janvier 2024, le président kényan William Ruto a assisté à l’investiture de Félix Tshisekedi. 

Plus tard, de passage à Washington, le président Ruto a affirmé que la crise du M23 était une crise congolaise, disculpant ainsi le Rwanda qui pourtant est impliqué dans les affrontements sur le territoire congolais. Après les récents problèmes de la compagnie kenyane d’aviation en RDC,   ces propos polémiques ont ajouté un grain de sable à une relation pour le moins difficile.  

Quelles que soient les divergences d’approches entre ces trois pays d’Afrique de l’Est, tous poussent pour que le gouvernement congolais ouvre des négociations avec le M23. 

Dans cette perspective, la création de l’AFC pourrait avoir pour but de mettre en avant un interlocuteur potentiel plus acceptable pour Kinshasa et une plateforme plus diversifiée.

AFC, une alliance nationale ?

En décembre, Nangaa et d’autres leaders du M23 ont en effet annoncé que plusieurs personnes et organisations ont rejoint l’AFC, sans donner plus de détails. Dans la foulée, on a remarqué l'arrivée d’Adam Chalwe, un ancien cadre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti de l’ancien président Joseph Kabila. En février, c’est l’ex-député Jean-Jacques Mamba, ancien porte-parole du parti Mouvement de libération du Congo (MLC) qui a annoncé lors d’une conférence de presse à Bruxelles rejoindre l’AFC. Le 6 juin, l’AFC a aussi présenté dans une vidéo un groupe d'individus en uniforme comme étant des officiers FARDC qui  auraient rejoint la rébellion. 

Dans le contexte électoral et post-électoral, l’AFC a aussi semblé se positionner pour bénéficier d’une éventuelle crise politique et d’éventuelles frustrations. Elle a focalisé son réquisitoire sur la gestion du président Tshisekedi. Avant les élections, la plateforme a affirmé que le scrutin était une mascarade. Et après, il en a rejeté les résultats. 

On voit ici une évolution entre l’AFC qui présente le problème comme un déficit du leadership élargi à toute la nation, et le M23 qui se présentait surtout comme le protecteur des communautés rwandophones et en particulier les Tutsi. 

Mais pour le moment, et malgré les irrégularités qu’a connues le processus électoral, aucune personnalité de premier plan n’a rejoint l’AFC. Le président Tshisekedi est sans doute plus légitime dans son second mandat qu’il ne l’était dans le premier, qui faisait suite à une élection beaucoup plus contestée. 

De ce point de vue, le narratif selon lequel l’existence du M23 ou de l’AFC s’expliquerait par un rejet du régime par de nombreux Congolais apparaît comme peu crédible. 

Quelles que soient ses ambitions, il n’est pas sûr que l’AFC ait davantage les moyens et la légitimité nécessaires pour recruter et mobiliser des soutiens dans d’autres parties du pays. L’AFC pourrait bien reconquérir et raffermir son contrôle au Nord-Kivu et recruter quelques adhérents dans d’autres provinces de l’Est en conflit. Mais il lui sera difficile d’obtenir le soutien populaire nécessaire à une lutte armée aux ambitions nationales.  

L’AFC pour un dialogue ?

L'AFC serait donc une mutation du M23 pour atteindre un double objectif : premièrement, créer un semblant d’administration dans les zones occupées. À ce propos, on a noté la nomination d’administrateurs civils du territoire de Rutshuru et de chefs des cités de Kiwanja, Rubare et Bunagana le 23 janvier, puis du chef de cité de Kitshanga et de son adjoint le 28 janvier. Deuxièmement : se positionner comme un interlocuteur en vue de négociations. 

L’encerclement de la ville de Goma, complétée par la prise de Shasha en février, coupant la route nationale numéro 4, serait ainsi un moyen de faire pression pour obtenir ces discussions. 

Mais  la grande majorité de la population congolaise continue de s’y opposer, et les discussions au niveau régional semblent pour l’instant dans l’impasse. Cela fait en effet plus de trois mois qu’une rencontre entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, sous la médiation du président angolais Joao Lourenço est attendue. 

Si des négociations finissaient malgré tout par voir le jour, l’aile politique de l’AFC, dirigée par Corneille Nangaa, pourrait jouer un rôle plus prépondérant. Nangaa est un ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui a organisé les élections controversées de 2018. Devenu opposant, il a, à partir de 2023, développé une rhétorique hostile au pouvoir et particulièrement au président Tshisekedi. Il a plusieurs fois menacé d'étaler des « vérités » sur les circonstances de l’alternance de 2019. En 2023, il a annoncé sa candidature à la présidence de la République avant de finalement s’exiler. Il y a lieu de se demander à quand remontent ses liens avec le M23, et s’ils étaient déjà établis lorsqu’il a pris ces positions. 

Nangaa a en outre une fine connaissance des rouages de la politique congolaise. Cependant, ses actes et propos contre le régime actuel, et particulièrement contre le président, le mettent dans une mauvaise posture pour être un interlocuteur des autorités congolaises, lesquelles le considèrent dorénavant comme un traître à la nation. 

Surtout, la RDC a déjà négocié avec des rebelles, dont les prédécesseurs du M23, comme le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), à défaut de pouvoir les défaire militairement. Mais ces accords ont débouché sur des atteintes à la souveraineté de l'État et à l'État de droit, comme l’incorporation des rebelles dans l’armée nationale, le traitement différencié par l’octroi des postes et l’arrêt de certaines poursuites judiciaires. 

L’exécutif congolais se dit déterminé à sortir de ce cercle vicieux. Il dit promouvoir la montée en puissance des FARDC pour défendre le territoire national et protéger les populations civiles. 

Néanmoins, sur le terrain, le rapport de force est tout autre. Les rebelles encerclent Goma, menacent de prendre Kanyabayonga, continuent d’occuper une grande partie de la province du Nord-Kivu et ont provoqué le déplacement de plus de 6,5 millions de personnes. Pour le président ces difficultés sont « des douleurs de l'enfantement » avant une paix durable.