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L’exploitation pétrolière a-t-elle un avenir en RDC ?

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L’exploitation pétrolière a-t-elle un avenir en RDC ?

Malgré des ambitions affichées en 2022 pour diversifier son économie grâce à l’exploitation pétrolière, la RDC peine à concrétiser ce projet. Défis logistiques, gouvernance défaillante et transition énergétique mondiale freinent son essor. Ce blog décrypte les obstacles et les pistes pour repenser l’avenir énergétique du pays.
Nov 28, 2024
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Deux ans après le lancement de l’appel d’offres sur 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers, le nouveau gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC), dirigé par Judith Suminwa, a mis fin à ce processus controversé, en raison de l’absence de candidatures recevables, de dépôts tardifs et d’un manque de concurrence. En 2022, lors du lancement de l’appel d’offres, Didier Budimbu, alors ministre des Hydrocarbures, affirmait que cette initiative visait à réduire la dépendance du pays au secteur minier et à placer la RDC parmi les grands producteurs de pétrole. Cet optimisme, partagé particulièrement par le président Félix Tshisekedi et Ève Bazaiba, ministre de l’Environnement, reposait sur une vision de bâtir une économie diversifiée, inclusive, et de revenu intermédiaire d’ici 2050. Cependant, le rêve pétrolier de la RDC se heurte à des obstacles structurels majeurs.

Des délais considérables et des infrastructures insuffisantes

Le développement d’un secteur pétrolier viable nécessite plusieurs années, voire des décennies, dans des contextes où il est sous-développé, comme en RDC. Par exemple, l’Ouganda a découvert du pétrole en 2006 dans le bassin du lac Albert, mais la production ne devrait démarrer qu’en 2025. En RDC, ce défi est encore plus complexe en raison de l’inaccessibilité de nombreux blocs pétroliers situés dans des régions reculées et difficiles d’accès, et dont les estimations sur le réel potentiel sont remises en question. Beaucoup de ces blocs nécessitent une phase d’exploration préliminaire, ce qui augmenterait les risques et les coûts pour les investisseurs potentiels.

À cela s’ajoutent des infrastructures inadéquates qui freinent davantage le développement du secteur. Le pays ne dispose actuellement que d’un seul pipeline terrestre, géré par les Services des entreprises pétrolières congolaises (SEP Congo), qui s’étend sur 720 km pour acheminer le pétrole importé depuis le port de Matadi jusqu’à Kinshasa. Les capacités de raffinage et de stockage sont également limitées : la raffinerie de Moanda, construite en 1963, et gérée par la Société congolaise des industries de raffinage (Socir), n’est que partiellement active depuis près de vingt ans. 

Dans l’hypothèse d’une exploitation de certains blocs situés dans la cuvette centrale, le transport du brut nécessiterait la construction de centaines de kilomètres de pipelines à travers une forêt dense. Pour les blocs I et II du bassin du rift est-africain, situés en Ituri, Budimbu avait évoqué la possibilité de recourir au pipeline d’Afrique de l’Est (EACOP) ou à celui du Sud-Soudan. Mais ces options sont peu réalistes. Le pipeline EACOP est déjà largement mobilisé pour la production pétrolière de l’Ouganda, et se raccorder au pipeline sud-soudanais nécessiterait des ressources financières et techniques considérables pour transporter le brut depuis l’Ituri, une zone en proie à des conflits, sur plusieurs centaines de kilomètres. En outre, la construction de pipelines est un processus coûteux, complexe, et souvent marqué par le déplacement de populations locales, comme observé avec le projet de construction du EACOP en Ouganda.

Une gouvernance qui freine l’attractivité du secteur

Au-delà des défis techniques, la gouvernance du secteur des hydrocarbures reflète les lacunes structurelles de la gouvernance congolaise. Le secteur pétrolier, comme d’autres secteurs, manque d’une politique cohérente et globale pour équilibrer l’exploitation et la préservation de l’environnement. Par exemple, bien que le pétrole du Kongo-Central soit exploité depuis plus de vingt ans par l’entreprise anglo-française Perenco, les retombées pour les communautés locales sont très faibles. Au contraire, les populations subissent les effets négatifs de l’extraction, comme la pollution, sans bénéficier d’améliorations substantielles de leur cadre de vie en infrastructures, électricité ou réseau routier.

Les préoccupations autour de la transparence et de la gouvernance persistent depuis des années. Entre 2008 et 2010, Jean Bamanisa, alors député national, a plusieurs fois interpellé le ministère des Hydrocarbures sur des dysfonctionnements flagrants : opacité des contrats, manque de considération pour les communautés locales, et manque de transparence dans la redistribution des revenus. De plus, le récent appel d’offres a été marqué par plusieurs irrégularités. Parmi celles-ci, l’ajout de 11 blocs supplémentaires au processus, alors que le Conseil des ministres n’en avait initialement approuvé que 16, ainsi que l’attribution des contrats d’exploitation des blocs gaziers à des entreprises peu connues. Ces problèmes découragent les investisseurs, qui hésitent à s’engager dans des projets de long terme en raison de l’incertitude réglementaire, contractuelle et politique.

La pression de la transition énergétique mondiale

Enfin, la transition énergétique mondiale pose un défi supplémentaire. Si la demande de pétrole persistera dans les années à venir, sa baisse progressive pousse de nombreux pays et entreprises pétrolières à s’engager dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à viser la neutralité carbone (zéro émission) d’ici 2050. En 2022, l’Union européenne a voté la fin des ventes de véhicules à essence et diesel d’ici 2035, et la Chine investit massivement dans les énergies renouvelables et les véhicules électriques. Les grands groupes pétroliers réorientent également leurs stratégies: TotalEnergies, par exemple, prévoit que le pétrole représentera moins de 30 % de ses ventes d’ici 2030, tandis que British Petroleum (BP) s’engage à réduire ses investissements dans les hydrocarbures et à ne plus lancer de nouveaux projets d’exploration dans des pays non encore exploités. Par ailleurs, plusieurs grandes banques se sont retirées du financement de projets pétroliers, principalement à cause des risques environnementaux. Cette dynamique mondiale a un impact direct sur l’Afrique en général, où les projets pétroliers et gaziers, plus coûteux (15 à 20 % de coûts supplémentaires) et plus polluants (70 à 80 % d’émissions de carbone en plus) que dans d’autres régions, risquent de perdre en compétitivité. 

Ce contexte mondial, associé aux défis politiques, logistiques et de gouvernance propres à la RDC, pourrait réduire l’attrait du pays pour les investisseurs dans le secteur. Ainsi, la RDC risque de voir ses réserves de pétrole et de gaz rester inexploitées en raison de coûts d’exploration et d’exploitation qui deviennent de plus en plus prohibitifs pour les investisseurs potentiels. 

Faut-il renoncer au rêve pétrolier ?

La réponse n’est pas simple, car elle touche à la fois aux aspirations économiques de la RDC et aux impératifs environnementaux. Mais avant d’envisager un nouvel appel d’offre, plusieurs questions cruciales méritent d’être pleinement prises en compte. 

Certains blocs pétroliers, notamment dans la Zone d’intérêt commun (ZIC) à la frontière maritime avec l’Angola, présentent effectivement un potentiel. Un accord de partage de production signé en 2023 pourrait permettre d’augmenter la production pétrolière du pays. Par ailleurs, la récente découverte d’un nouveau gisement de pétrole par Perenco pourrait renforcer les capacités nationales de production. L’exploitation du gaz naturel du lac Kivu pour la production d’électricité, constitue également une piste prometteuse, plus immédiate et durable. Cependant, pour la majorité des autres blocs, inexplorés et inexploités, les perspectives de rendement sont faibles. 

Plutôt que de se lancer précipitamment dans l’exploitation pétrolière, la RDC gagnerait à adopter une politique cohérente, multisectorielle et globale pour l’ensemble de ses ressources naturelles. Dans l’immédiat, il est essentiel de garantir que la population congolaise profite équitablement des revenus issus de l’exploitation des ressources – qu’il s’agisse des hydrocarbures, des mines, des forêts ou d’autres richesses – tout en intégrant les évolutions économiques et environnementales à l’échelle mondiale.

Le véritable potentiel du pays réside sans doute dans la construction d’une économie résiliente qui n’est pas uniquement dépendante de ses ressources naturelles, mais qui les utilise comme levier pour un développement inclusif et durable. Un tel modèle de croissance exige de se projeter au-delà de l’exploitation immédiate et de penser à un avenir post-extractif, où la diversification économique serait au centre des priorités.