L’UPC, nouveau groupe armé étranger présent dans le Bas-Uélé
Le Bas-Uélé, province de la RDC située au nord du pays, enregistre depuis fin mai, la présence d’un groupe rebelle venu de la République Centrafricaine. C’est la première fois qu’un groupe armé centrafricain établit sa base-arrière dans le Bas-Uélé.
En effet, depuis plusieurs années, la RCA est un pays déchiré par de violents conflits armés opposant le régime de Bangui à un kaléidoscope de groupes armés et des groupes d’auto-défense communautaire rivaux.
Ces conflits se sont accélérés depuis la dissolution de la Séléka en septembre 2013, une coalition de forces rebelles ayant porté Michel Djotodia au pouvoir en mars de la même année à la suite de l’éviction du régime de François Bozizé. Par la suite, en 2014, Djotodia a jeté l’éponge et entre 2016 et 2017, l’ex-Séléka a volé en éclat, à cause d’une guerre intestine survenue au nord-est de Bangui, dans la Haute-Kotto entre deux de ses principales factions, l’UPC et le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) appuyé par les anti-balaka et le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC).
Malgré cet incident, l'UPC a maintenu sa zone d'influence, notamment dans la préfecture de Ouaka dont la capitale, Bambari, passera sous son contrôle en 2020. C'est en 2021 qu'elle a été contrainte à migrer vers le sud-est de la RCA, dans la préfecture du Haut-Mbomou, après un vaste assaut des mercenaires russes, les Wagners. Or le Haut-Mbomou était le bastion de l'Armée de résistance du seigneur (Lord's resistance army, LRA), un groupe armé d'origine ougandaise à partir duquel il lançait des attaques sur les provinces congolaises du Bas-Uélé et du Haut-Uélé.
Des incursions en répétition des rebelles dans le Bas-Uélé à l’établissement de leur base arrière ?
La première incursion des groupes armés étrangers dans le Bas-Uélé remonte à mars 2009 en territoire d’Ango. Elle était le fait de la LRA qui opérait à partir de la province voisine du Haut-Uélé. Cette incursion faisait suite aux pressions exercées sur le mouvement par les Forces armées de la RDC (FARDC), appuyées par l’Armée de défense du peuple ougandais (Uganda people's defence force, UPDF) et la mission onusienne, MONUC dans le Haut-Uélé.
Profitant de la quasi-inexistence des services de sécurité, la LRA a étendu le théâtre de violences en RCA, dans le Haut-Mbomou en 2009 qui deviendra sa base.
En 2011, les forces américaines de l’opération Africom (Commandement américain pour l’Afrique) et l’UPDF déploient des troupes pour traquer la LRA et capturer son leader, Joseph Kony, mais sans y parvenir. L’opération prend fin en 2017 et crée un vide sécuritaire, notamment dans le Haut-Mbomou où l’UPC, prétendant lutter contre les exactions de la LRA subies par la communauté peule, étend progressivement sa zone d’influence.
L’UPC s’impose dès lors dans le Haut-Mbomou où elle contrôle les marchés de bétail ainsi que d’autres trafics transfrontaliers avec la RDC et le Soudan du Sud. Certaines sources indiquent que l’UPC se partageait les taxes avec des soldats sud-soudanais commis à la sécurité de la frontière et échangeait du bétail contre des armes et des munitions.
En 2019, l’antagonisme de l’UPC avec la LRA se transforme en pacte de non agression : les deux mouvements s’engagent à ne plus se faire la guerre, formant une coalition de fait. Désormais, la frontière devient poreuse entre ces mouvements à tel point que les responsabilités deviennent difficiles à établir dans les attaques dont les Uélé sont l'objet.
En 2020, François Bizize crée la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), une alliance contre-nature composée d’anciennes factions de la Séléka dont l’UPC fera partie ainsi que de milices anti-Balaka. La même année, la CPC lance un assaut sur Bangui, où le régime de Faustin Touadera sera sauvé in extremis par les mercenaires russes Wagners et les troupes rwandaises.
Cependant, son alliée, la LRA, adhère à un processus de paix qui débouchera en septembre 2023, sur le désarmement d’au moins 158 combattants comme le renseigne un de nos articles précédents. Contre toute attente, en février 2024, une double attaque attribuée à l’UPC survient à Ango, suivie d’une autre attaque, le 14 mars, ayant entraîné l’enlèvement de 30 personnes et l’incendie d’au moins 35 maisons et le pillage des biens de la population. Cette dernière attaque, selon le gouvernement congolais aurait été menée par les combattants de la LRA. Mais l’identification de ce perpétrateur demeure contestée.
Selon les sources sécuritaires dans le Bas-Uélé ayant contacté les Hardos des Mbororo, les attaques suivies d’enlèvements de plus de 30 personnes entre février et mars 2024, étaient plutôt l’œuvre d’Azande Ani Ki Gbe (AAKG), milice rivale à l’UPC qui avait déjà, par le passé, procédé à des enlèvements suivis d’enrôlements d’enfants.
L’émergence d’AAKG a changé la nature des conflits vers les violences communautaires dans lesquelles les groupes armés prétendant protéger leurs communautés, organisent des attaques et des expéditions punitives contre les groupes rivaux et les civils membres de leurs communautés, en l'occurrence les communautés Azande et Peule.
Le rapport de force en faveur de l’AAKG a-t-il précipité la déroute et la fuite de l’UPC vers le Bas-Uélé ?
Créé entre la frontière sud-soudano-centrafricaine par des jeunes Azande, AAKG s’est fait connaître en mars 2023 par une série d’attaques contre l’UPC à Bambouti, localité centrafricaine frontalière avec le Soudan du Sud. Dès lors, de violents conflits entre l’UPC et AAKG ravagent plusieurs entités centrafricaines et menacent de s’étendre dans le Bas-Uélé où des dizaines de milliers de personnes fuyant la guerre affluent.
L'embrasement de la région précipite le déploiement des mercenaires russes, les Wagners à Obo (Haut-Mbomou) en mars 2024, à la demande de Bangui, pour entraîner et intégrer les combattants d’AAKG au sein des forces régulières, FACA, afin de combattre l'UPC. Cette intégration reste toutefois problématique après des vagues de formations des combattants d’AAKG qui revendiquent une certaine autonomie vis-à-vis des FACA, choisissant parfois la dénomination de Wagners Ti Azande et des écussons différents.
Les troupes « recyclées » d'AAKG ont réussi, fin mai, avec les soutiens des Wagners, à conquérir, deux principaux bastions de l’UPC, Mboki et Zemio, près des Uélé. La déroute de l’UPC a entraîné sa fragmentation en trois groupes : le premier est resté sous le contrôle de son principal leader, Ali Darasa qui est sous sanctions internationales et qui réclame un dialogue politique avec le gouvernement de Bangui. Le deuxième groupe est constitué de combattants dispersés dans les brousses autour de Mboki et de Zemio qui affrontent régulièrement AAKG.
Le dernier groupe est celui qui s’est replié sur le Bas-Uélé en RDC et qui pourrait se réorganiser grâce à une certaine autonomie dont il dispose et la criminalité qu’il maintient entre la RDC, la RCA et le Soudan du Sud. Il est impliqué, depuis le mois de juin, dans plusieurs incidents sécuritaires dans le Bas-Uélé, singulièrement en territoires d'Ango, de Bondo et de Poko. Mais la riposte des services de sécurité congolais s’est avérée extrêmement faible, faisant redouter le glissement de l’épicentre d’affrontements entre AAKG et l’UPC dans le Bas-Uélé.
La crise du M23 a-t-elle détourné l’attention de Kinshasa de la présence rebelle dans le Bas-Uélé ?
La résurgence du Mouvement du 23 mars (M23) a conduit le gouvernement de Kinshasa à dégarnir plusieurs positions militaires notamment dans le Bas-Uélé, dans le Grand-Nord et en Ituri pour renforcer le front face à ce mouvement. Cependant, avant même cet épisode, les Uélé souffraient déjà de la déficience de l’autorité de l’État, de l’enclavement et de l’éternelle question liée à l’absence coordination des opérations militaires par les pays affectés par les menaces pourtant communes.
La RCA et la RDC voire le Soudan du Sud ne semblent pas avoir tiré de leçon de l'activisme de la LRA qui avait profité du contrôle limité de leurs institutions dans cette région et d'une absence de coopération en matière sécuritaire pour perpétrer des crimes durant plusieurs années.
L'UPC dans le Bas-Uélé semble bénéficier des mêmes faiblesses, la RCA et la RDC ne contrôlant que faiblement leur espace frontalier commun et ne coopérant presque pas.
Ainsi, l’on peut noter que c’est le secteur opérationnel Uélé qui est chargé des opérations militaires dans une région couverte d’une vaste étendue de forêt et qui partage plus de 1000 km de frontière avec la RCA et le Soudan du Sud, subissant des attaques récurrentes des groupes armés étrangers. Pour être efficace, ce secteur a besoin des effectifs, moyens logistiques et des renseignements nécessaires.
Si en 2016, les rebelles sud-soudanais avaient été désarmés et relocalisés au Nord-Kivu, c'est la Monusco qui avait joué un rôle majeur grâce à ses moyens logistiques dont les FARDC semblent dépourvues.
Une autre question est celle de savoir comment réussir une opération militaire dans une région couverte de forêt et sans infrastructures routières ? La résilience des groupes armés entre le Bas-Uélé et la RCA tient également à leur parfaite maîtrise de la forêt et leur capacité à opérer pendant de longues heures sachant qu’ils ne risquent pas l’arrivée de renforts FARDC.
La présence de l’UPC dans le Bas-Uélé pourrait-elle aggraver les tensions communautaires ?
Les rivalités entre l’UPC et AAKG ont affecté la cohabitation fragile entre les pasteurs peuls Mbororo et les Azandé en RCA. Les attaques entre ces deux groupes armés s’accompagnaient des représailles contre les civils selon qu’ils sont peuls, arabes ou Azande.
En RCA comme en RDC, des Azandé accusaient les Mbororo d’être de mèche avec l’UPC et la LRA, une accusation qui serait largement liée aux attaques impliquant certains Mbororo avec des armes à feu contre les membres de communautés locales.
À Ango, depuis octobre 2023, des rumeurs de le création d’un mouvement d’autodéfense communautaire, URJA (Union de la révolution de la jeunesse d’Ango) circulent avec comme objectif de combattre la présence des Mbororo.
Par ailleurs, certaines sources renseignent que parmi des combattants d’AAKG, se trouvent des jeunes recrutés dans les Uélé mais qui ont été livrés à eux-mêmes après leur formation. Certains survivraient grâce à la criminalité autour de la ville d’Obo où leur formation s’est déroulée. Si aucune mesure de précaution n’est prise, ces jeunes pourraient constituer une grande source d'insécurité dans cette zone.