Attributions ministérielles en RDC : sortir du flou pour améliorer l’efficacité de l’action gouvernementale
Avec la nomination du gouvernement Suminwa II début août, certains ministères ont été créés, d’autres fusionnés. Mais sans ordonnance d’attributions à jour, le risque de chevauchements et de conflits entre ministères aux compétences dupliquées reste élevé. D’où l’urgence d’un texte clair, aligné sur la nouvelle configuration.
Le gouvernement Suminwa II fonctionne-t-il sans boussole claire ? Derrière la question se cache un mal plus profond : les retards répétés dans la mise à jour des ordonnances fixant les attributions des ministères. Un problème qui traverse tous les gouvernements depuis 2019 [1] et qui affaiblit la cohérence de l’action gouvernementale. Depuis l’avènement du président Félix Tshisekedi au sommet de l’État, cinq gouvernements se sont succédé, avec chacun ses spécificités. Malgré cette continuité institutionnelle, un fait reste constant : les ordonnances fixant les attributions des ministères accusent un retard ou sont dépassées.
Le gouvernement Ilunkamba, mis en place neuf mois après les élections de 2018, avait hérité d’une ordonnance déjà datée du 10 juillet 2017 [2]. Ce n’est qu’au bout de sept mois d’exercice que le président de la République a signé, le 27 mars 2020, une autre ordonnance [3] pour organiser cette équipe gouvernementale. Plus tard, le gouvernement Sama a connu la même difficulté : près d’une année de fonctionnement sans texte de référence, plongeant certains ministres, issus des départements nouvellement créés, dans l'incertitude. Il a fallu attendre janvier 2022 pour qu’une ordonnance soit finalement prise [4].
Ces retards répétés, illustrés par des ministères restés plusieurs mois sans attributions définies, fragilisent la cohérence de l’action gouvernementale. Certes, les gouvernements successifs ont pu fonctionner sans texte actualisé, ce qui montre que l’ordonnance d’attributions n’est pas une condition opérationnelle immédiate. Mais elle demeure une pièce maîtresse dans l’architecture institutionnelle : elle fixe les responsabilités de chaque ministre, garantit la sécurité juridique des actes administratifs et permet au Parlement, comme à la société civile, d’évaluer l’action du gouvernement sur une base claire.
À défaut, la coordination repose sur des mécanismes informels (arbitrages politiques, instructions ponctuelles ou lettres de mission) qui pallient le vide sans le combler. Ces pratiques, tolérées par le pragmatisme, déplacent toutefois le centre de gravité institutionnel : elles concentrent de fait le pouvoir de définition des attributions entre les mains du Premier ministre, alors que la Constitution réserve cette compétence au président de la République, après délibération en conseil des ministres.

Cette frise le montre bien : depuis l’ordonnance fixant les attributions des ministères du 7 janvier 2022, aucune autre n’a été signée alors que trois équipes gouvernementales se sont succédé (Sama II, Suminwa I et II). Résultat : le cadre en vigueur ne reflète plus véritablement la situation actuelle.
Lors du gouvernement Sama II, le détachement de la Décentralisation de l’Intérieur a provoqué en 2023 un conflit de compétences entre Peter Kazadi, vice-Premier ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières, et Eustache Muhanzi, ministre de la Décentralisation, au sujet de la nomination des chefs de secteur. Chacun estimait détenir la légitimité institutionnelle pour exercer cette prérogative : Kazadi en vertu de la tutelle administrative que l’Intérieur continue d’exercer sur les entités territoriales décentralisées, Muhanzi au nom de son portefeuille consacré à la décentralisation. Faute d’une ordonnance d’attributions actualisée pour préciser la répartition des compétences entre les deux ministères, cette ambiguïté s’est transformée en affrontement ouvert.
Le Conseil d’État a finalement tranché en faveur du ministère de l’Intérieur [5]. Cet épisode illustre comment un vide réglementaire peut alimenter des chevauchements et conflits de compétences et paralyser l’action gouvernementale, alors qu’une simple mise à jour de l’ordonnance aurait suffi à lever toute ambiguïté.
Cette situation complique à la fois la répartition claire des rôles et l’évaluation du travail de chaque ministre. Certes, l’ordonnance relative à l’organisation et au fonctionnement du gouvernement a été mise à jour le 11 octobre 2024, mais cette révision, bien que essentielle, ne résout pas le problème : la clarification des champs de compétence ministériels reste en suspens, et les chevauchements demeurent. « C’est une situation que nous observons régulièrement lors des remaniements ou de la formation d’un nouveau gouvernement, reconnaît un cadre d’un service spécialisé au sein du cabinet du chef de l’État » [6]. Selon lui, ce flottement tient moins à un oubli qu’à de « longues tractations destinées à éviter de froisser des ministères contraints de céder certaines compétences ».
En attendant, « tant qu’il n’y a pas une nouvelle ordonnance fixant les attributions des ministères, la première demeure et produit ses effets, tente de justifier un conseiller du chef de l’État. Aujourd’hui par exemple, les attributions spécifiques sont données par l’ordonnance de nomination ou les orientations de la Première ministre [7] ». En pratique, l’organisation et le fonctionnement du gouvernement s’appuient sur un système de suppléance : les ministres reçoivent des lettres de mission qui précisent les priorités et objectifs de leur portefeuille. Cette pratique, déjà utilisée sous Matata Ponyo et poursuivie sous Jean-Michel Sama et Judith Suminwa, permet au gouvernement de fonctionner, mais elle ne remplace pas la base légale qu’offre l’ordonnance d’attributions. Les lettres de mission relèvent d’une logique managériale : elles fixent des résultats attendus sans définir les prérogatives juridiques de chaque ministère. En conséquence, les chevauchements de compétences persistent, et les arbitrages se règlent davantage par rapport de force que par texte. Mais pour comprendre pourquoi cette situation est possible et pourquoi elle génère autant d’ambiguïtés, il faut revenir à ce que prévoit la Constitution.
Ce que dit le droit (et ses limites)
En RDC, le gouvernement est une institution collégiale, deuxième tête de l’exécutif national. Sa mission : définir, en concertation avec le président de la République, la politique de la nation et la conduire. Pour y parvenir, il s’appuie sur des membres dont le nombre évolue selon les besoins, et sur l’administration publique mise à sa disposition.
La Constitution fixe les grandes lignes de la mise en place et du fonctionnement du gouvernement. Ces modalités sont complétées par d’autres textes réglementaires :
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L’ordonnance de nomination du Premier ministre ;
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L’ordonnance de nomination des autres membres du gouvernement ;
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L'ordonnance fixant l’organisation, le fonctionnement du gouvernement et les modalités de collaboration entre le président de la République et le gouvernement ainsi qu’entre les membres du gouvernement.
Cette dernière ordonnance intervient toujours après l’investiture du gouvernement, puisqu’elle suppose la tenue préalable d’un conseil des ministres.
Sans ordonnance d’attribution à jour, le risque est grand de voir un ministère empiéter sur les prérogatives d’un autre.
En théorie, ce texte suffirait : il pourrait à la fois organiser le fonctionnement du gouvernement, préciser les modalités de collaboration entre le président et les ministres, mais aussi définir les attributions de chaque portefeuille. Mais dans la pratique, et comme dans plusieurs autres pays, le chef de l’État a pris l’habitude de distinguer deux ordonnances : l’une sur l’organisation générale, l’autre sur les attributions. Cette dualité n’est pas problématique en soi, pourvu que les textes soient publiés sans retard et reflètent la configuration réelle du gouvernement.
En revanche, l’absence d’un délai contraignant pour la signature de l’ordonnance d’attribution crée une faille réglementaire majeure. Elle ouvre la voie à une gestion informelle des portefeuilles, où les ministres risquent d’interpréter leurs prérogatives au gré des circonstances. Elle favorise aussi les chevauchements de compétences, chaque ministère tentant d’étendre son périmètre d’action faute de balises claires. Enfin, elle prive le Parlement et la société civile de critères objectifs pour évaluer l’action gouvernementale : comment juger la performance d’un ministre si son périmètre n’est ni défini ni adapté à la configuration du moment ?
Problèmes de chevauchement des compétences
La compétence est d’attribution, dit-on. Or, en l’absence d’une ordonnance à jour fixant les rôles de chaque ministère, la répartition devient problématique, surtout lorsque plusieurs portent des dénominations proches. Sans définition précise, le risque est grand de voir un ministère empiéter sur les prérogatives d’un autre, chacun peinant à justifier la légitimité de ses interventions.
Des cas concrets illustrent cette dérive : l’Urbanisme, les Affaires foncières et l’Aménagement du territoire se chevauchent régulièrement dans la gestion du sol, la planification et la délivrance des titres. « Il est arrivé plusieurs fois qu’un service communal dépendant du ministère de l’Urbanisme refuse à un usager un titre, mais que ce dernier l’obtienne auprès du service similaire dépendant des Affaires foncières et vice-versa », pointait en substance un cadre de l’administration publique lors d’un atelier organisé par Ebuteli [8].
Un exemple emblématique est celui du projet de loi sur l’aménagement du territoire. Déposé en février 2021, il visait à doter le pays d’outils de planification spatiale. Mais son examen s’est enlisé, notamment parce que le ministère porteur du texte s’appuyait sur l’article 9 de la Constitution, qui reconnaît à l’État une souveraineté permanente sur le sol, le sous-sol, les eaux et les forêts. Une base jugée trop large, ouvrant la voie à une interprétation extensive des prérogatives du ministère de l’Aménagement du territoire, au détriment d’autres portefeuilles concernés. Saisie par l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle a finalement rappelé, en avril 2023, que le véritable fondement juridique relevait de l’article 203, lequel place explicitement l’aménagement du territoire dans le champ des compétences concurrentes entre le pouvoir central et les provinces. Résultat : près de trois ans d’attente avant l’adoption définitive, le 3 octobre 2023 [9].
L’affaire ne s’est pas arrêtée là. En avril 2024, le président de la République a renvoyé le texte pour une nouvelle délibération, demandant la révision de huit articles. Mais à l’examen, la commission parlementaire aménagement du territoire a identifié plus d’une cinquantaine de dispositions à revoir. Ce travail a abouti à une nouvelle adoption le 30 mai 2025 [10], sous la législature suivante. Ce va-et-vient institutionnel illustre, de manière criante, les effets pervers d’un cadre flou : chevauchements entre ministères, fondements juridiques contestés et blocages successifs entre exécutif, Parlement et Cour constitutionnelle.
D’autres ministères connaissent des problèmes similaires. La dénomination changeante du ministère de la Jeunesse, par exemple, a entretenu une confusion persistante sur ses attributions. Dans l'ordonnance de 2022, ce ministère avait pour dénomination « Jeunesse et Nouvelle citoyenneté ». En 2024, son intitulé est devenu « Jeunesse et Éveil patriotique » et les questions de citoyenneté ont été rattachées à l’Éducation nationale. Même fragmentation au ministère du Travail qui, depuis 2024, a perdu la Prévoyance sociale, désormais rattachée au ministère de la Santé publique. S’ajoutent des interfaces sensibles entre Affaires étrangères et Intégration régionale : si les deux gèrent des dossiers internationaux, le partage opérationnel doit rester strict pour éviter toute confusion.
Par ailleurs, l’évolution du portefeuille du Numérique illustre parfaitement cette instabilité institutionnelle. Dans l’ordonnance de 2022, ses attributions étaient clairement définies : développement de l’innovation nationale, planification des programmes et des projets publics dans le secteur du numérique, mise en place des infrastructures et équipements numériques, notamment des data centers, traitement des questions relatives à l’économie numérique des entreprises et des acteurs du numérique, etc. En mai 2024, avec le gouvernement Suminwa I, ce domaine a été rattaché aux Postes et Télécommunications, ce qui pouvait encore s’expliquer par une logique technique. Mais en août 2025 (Suminwa II), un basculement plus délicat est intervenu avec la création d’un ministère de l’Économie du numérique. Cette approche expose immédiatement le portefeuille à des chevauchements avec l’Économie nationale et le Commerce extérieur. Sans ordonnance actualisée pour baliser ces interactions, le risque de conflits de compétences est élevé, au détriment de la cohérence de l’action publique.
Ce type de chevauchement n’est pas propre à la RDC. Dans plusieurs démocraties administrativement structurées, la répartition des compétences ministérielles repose sur un équilibre entre souplesse politique et sécurité juridique. En France, la répartition des compétences ministérielles repose sur le décret du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres [11]. Ce texte établit le principe selon lequel les attributions sont fixées par décret délibéré en conseil des ministres, après avis du Conseil d’État.
En pratique, cette base juridique s’accompagne d’un principe de continuité administrative : un décret d’attribution reste valable tant qu’il n’a pas été expressément modifié ou abrogé. Ainsi, lorsqu’un portefeuille ministériel conserve le même périmètre, il peut continuer à fonctionner sous le régime du décret antérieur. À l’inverse, tout changement de composition du gouvernement ou de périmètre ministériel entraîne la publication d’un nouveau décret d’attribution. Par exemple, le décret du 8 janvier 2025 relatif aux attributions du ministre des Armées [12] a été signé 26 jours seulement après la nomination, le 13 décembre 2024, du gouvernement Bayrou. Ce délai resserré témoigne d’une exigence de sécurité juridique et de clarté des responsabilités.
En RDC, cette clarté fait encore défaut, non seulement entre ministères aux périmètres proches, mais aussi au sein même des portefeuilles, où la multiplication des fonctions intermédiaires (vice-ministres, ministres délégués) crée de nouvelles zones d’incertitude.
Gouvernements de la RDC depuis 2019 : délais de publication des ordonnances d'attributions et ministères non couverts





Ministres délégués ou zones grises persistantes
La composition du gouvernement Suminwa II illustre bien cette complexité. Cinq ministres délégués ont été nommés : auprès des Affaires étrangères (francophonie et diaspora), de l’Environnement (économie du climat), de l’Urbanisme (politique de la ville), de la Défense (anciens combattants) et des Affaires sociales (personnes vivant avec handicap).
Seule cette dernière fonction (ministre délégué chargé des personnes vivant avec handicap) est explicitement mentionnée dans l’ordonnance du 7 janvier 2022 fixant les attributions des ministères. Le texte prévoit que ce ministre délégué exerce « sous la direction [13] » du ministre ayant les affaires sociales dans ses attributions et qu’il doit établir des « rapports mensuels des activités du ministère » à son intention [14].
Pour les autres ministres délégués, l’intitulé de nomination délimite un domaine d’intervention, sans préciser les contours : qui signe les arrêtés ? Qui coordonne les services ? Qui représente la RDC à l’international ? En l’absence d’une ordonnance d’attributions actualisée, les chevauchements et les zones grises persistent.
L’ordonnance sur l’organisation et le fonctionnement du gouvernement du 11 octobre 2024 ajoute à l'ambiguïté. Elle reconnaît que chaque ministre délégué est « responsable de son département » et qu’il « applique le programme gouvernemental » au même titre que les ministres, « sous la direction et la coordination du Premier ministre [15]». En d’autres termes, il n’est pas formellement subordonné au ministre principal, même si la pratique politique et l’intitulé de nomination l’y rattachent. Ce paradoxe crée une situation hybride : le ministre délégué dispose, en droit, d’une responsabilité propre, mais son autonomie reste fragile faute d’une clarification textuelle des rapports hiérarchiques ou de préséance. La démission, à la mi-juin 2024, de la ministre déléguée à l’Environnement [16], officiellement pour « convenances personnelles », dans un contexte où plusieurs observateurs évoquaient des frictions avec la ministre de l’Environnement, a illustré les limites de ce modèle.
Le cadre régissant les vice-ministres apparaît mieux balisé.
Cette absence de cadre clair sur les rapports hiérarchiques et la répartition des compétences s’est encore accentuée avec la formation du gouvernement Suminwa II. Les nouveaux ministres délégués créés en août 2025 ne bénéficient d’aucune base réglementaire actualisée précisant leurs attributions. C’est notamment le cas du ministre délégué auprès du ministre de l’Environnement et Développement durable, en charge de l’économie du climat, dont les missions risquent de se chevaucher avec celles du ministère de l’Environnement ou même de l’Économie nationale ; ou encore de celui chargé de la politique de la ville, susceptible d’empiéter sur l’Urbanisme ou l’Aménagement du territoire. Sans délimitation claire, le risque d’empiètement est élevé et fragilise la coordination gouvernementale.
Enfin, l’ordonnance du 11 octobre 2024, censée préciser les modalités de collaboration entre le président de la République, le gouvernement et ses membres, laisse des zones d’ombre considérables sur les rapports entre un ministre et son ministre délégué. Elle se limite à établir une règle de préséance protocolaire, qui ne saurait, à elle seule, régler la question des responsabilités décisionnelles et des circuits d’instruction.
À l’inverse, le cadre régissant les vice-ministres apparaît mieux balisé. Conformément à la Constitution et à l’ordonnance de 2024 relative à l’organisation et au fonctionnement du gouvernement, les vice-ministres exercent sous l’autorité des ministres auxquels ils sont adjoints. Ils assument l’intérim des ministres en cas d’absence ou d’empêchement. Lorsque l’ordonnance de nomination leur confie un secteur particulier, ils agissent par « délégation permanente de compétence [17] ». Ils doivent toutefois informer le ministre principal, solliciter ses orientations et soumettre leurs décisions à son avis conforme. Leur rôle est donc clairement subordonné, sans autonomie réelle.
Le contraste est net : là où les vice-ministres disposent d’un cadre hiérarchique bien défini, les ministres délégués évoluent dans un flou institutionnel persistant. Mais ce brouillage des lignes d’autorité ne s’arrête pas aux ministères eux-mêmes. Il s’étend à l’architecture plus large de l’exécutif, où certains services directement rattachés à la présidence exercent des missions proches, voire concurrentes, de celles des ministères. Cette imbrication institutionnelle alimente un sentiment de chevauchement permanent entre la présidence et le gouvernement, au point de donner l’impression d’un exécutif à deux têtes.
La présidence, un exécutif dans l’exécutif ?
L’un des aspects les plus révélateurs de cette complexité réside dans la multiplication, au sein du cabinet du chef de l’État, de services et d’agences investis de missions relevant déjà de ministères de plein exercice. Cette superposition d’entités entretient une concurrence implicite entre structures et peut fragiliser la cohérence de l’action publique.
C’est le cas du service spécialisé du chef de l’État en charge de la jeunesse, de la lutte contre les violences faites à la femme et de la traite des personnes. Ses missions se recoupent avec celles du du ministère de la Jeunesse, du celui du Genre, Famille et Enfants ainsi que du ministère des Droits humains. Le phénomène ne relève pas que du prestige politique : il traduit une tendance à la recentralisation fonctionnelle au profit de la présidence, qui brouille la lisibilité des chaînes de responsabilité et dilue l’efficacité administrative.
Un autre exemple est celui de l’Agence congolaise de la transition écologique et du développement durable (ACTEDD), structure rattachée à la présidence de la République mais dotée de prérogatives très proches de celles au ministère de l’Environnement et, depuis Suminwa II, du ministre délégué chargé de la Nouvelle économie du climat. Cette agence, censée coordonner la stratégie présidentielle en matière d’écologie, peut intervenir dans un périmètre d’action opérationnel, suscitant des tensions de compétence avec les ministères sectoriels. Faut-il la considérer comme un organe de planification stratégique ou comme un acteur d’exécution ? L’absence de clarification institutionnelle crée un risque de duplication des programmes, d’injonctions contradictoires et de rivalités bureaucratiques.
Ces chevauchements posent une question de fond : jusqu’où peut s’étendre la sphère d’action du cabinet présidentiel sans empiéter sur celle du gouvernement ? En principe, la présidence de la République ne dispose pas de pouvoir exécutif direct sur les politiques publiques : elle définit les orientations générales, tandis que le gouvernement les met en œuvre. Pourtant, la multiplication de structures rattachées à la présidence [18] a progressivement transformé le palais de la Nation en un centre parallèle de décision et d’exécution.
Cette évolution n’est pas qu’un problème d’organisation : elle affecte aussi la responsabilité politique. En cas d’échec d’un programme ou d’un projet public, qui doit rendre compte devant le Parlement ou les citoyens ? Le ministre concerné ou le service présidentiel qui a piloté le dossier ? En brouillant la frontière entre pilotage politique et exécution administrative, ce système risque de fragiliser la collégialité gouvernementale et de renforcer l’opacité décisionnelle.
Enfin, cette tendance interroge la nature même du régime congolais, fondé sur une forme de dualisme exécutif : le président incarne la continuité de l’État, tandis que le gouvernement conduit la politique de la nation sous le contrôle du Parlement. Or, la concentration croissante des leviers d’action au sein du cabinet présidentiel altère cette distinction constitutionnelle. Elle réduit la marge d’autonomie du Premier ministre et rend plus difficile l’imputabilité des politiques publiques.
Pistes de réforme institutionnelle
Le flou institutionnel qui entoure la répartition des compétences ministérielles n’est pas une fatalité. Plusieurs pistes de réforme peuvent contribuer à renforcer la lisibilité de l’exécutif, la sécurité juridique des actes administratifs et la redevabilité gouvernementale.
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Encadrer dans le temps la publication d’une nouvelle ordonnance d’attributions lorsque l’architecture gouvernementale évolue.4
Pour éviter les retards récurrents observés depuis plusieurs mandats, la Constitution ou une loi organique pourrait prévoir un délai maximum pour la signature et la publication de l’ordonnance fixant les attributions des ministères. Ce délai peut être par exemple de 30 jours après la formation d’un gouvernement dont la structure ou les attributions ont été modifiées.
Une telle disposition ne supposerait pas la publication d’un nouveau texte à chaque remaniement : lorsqu’aucune modification substantielle du périmètre ministériel n’intervient, l’ordonnance précédente demeure en vigueur. Mais elle instaurerait une obligation de mise à jour chaque fois que les intitulés ou les missions changent, assurant la cohérence de l’action publique dès le début du mandat.
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Clarifier le statut et le rôle des ministres délégués
Sa suppression pure et simple, désormais évoquée dans certains cercles politiques, ne ferait que renforcer le déficit de surveillance et de recours en matière de droits humains, sans répondre aux besoins de transparence et de justice.
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Recentrer les services et agences de la Présidence dans le respect du cadre organique existant.
Les structures rattachées au cabinet du chef de l’État (services spécialisés, agences présidentielles ou cellules de coordination) doivent fonctionner dans les limites prévues par l’ordonnance organique fixant l’organisation et le fonctionnement de la présidence de la République.
Sans remettre en cause leur légitimité, il importe de mieux articuler leurs missions avec celles des ministères afin d’éviter les chevauchements constatés. Ces services devraient être recentrés sur des fonctions de planification, d’impulsion et de suivi stratégique, tandis que la mise en œuvre opérationnelle relève du gouvernement. Une ordonnance complémentaire pourrait préciser ces modalités de coordination, sans empiéter sur le cadre organique présidentiel, afin de préserver la cohérence du dualisme exécutif président-Premier ministre et la lisibilité des responsabilités politiques.
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Instituer un mécanisme interne de règlement des conflits de compétences.
Pour prévenir les chevauchements persistants, un dispositif formalisé d’arbitrage interne pourrait être mis en place. Celui-ci s’appuierait sur la hiérarchie protocolaire (Premier ministre, vice-Premiers ministres, ministres d’État, ministres, ministres délégués et vice-ministres) comme principe d’ordre et de coordination.
Cette approche, inspirée des bonnes pratiques administratives observées ailleurs, garantirait une résolution rapide des différends au sein de l’exécutif sans recourir systématiquement aux juridictions administratives. Elle pourrait être consacrée par l’ordonnance relative à l’organisation et au fonctionnement du gouvernement.
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Rationaliser la taille et la structure du gouvernement.
La multiplication des portefeuilles ministériels, souvent dictée par des équilibres politiques plus que par des considérations administratives, fragilise la coordination et la lisibilité de l’action publique. Afin d’y remédier, deux niveaux de réforme peuvent être envisagés : le plafonnement constitutionnel et la rationalisation fonctionnelle.
D’une part, à l’instar des gouvernements provinciaux dont le nombre de ministres est limité à dix par l’article 198 de la Constitution, il serait pertinent d’introduire un plafond national pour le nombre de ministères, garantissant une structure gouvernementale stable, cohérente et soutenable financièrement. Cette mesure aurait pour objectif de prévenir la fragmentation excessive des compétences, sans pour autant rigidifier la composition du gouvernement. Une marge d’adaptation pourrait être prévue, notamment par la création temporaire de ministères délégués selon les priorités du moment.
D’autre part, la rationalisation interne pourrait s’appuyer sur une organisation plus intégrée, inspirée du modèle de transition dite « 1+4 » : un Premier ministre assisté de quatre vice-Premiers ministres coordonnant de grands pôles (affaires politiques, institutionnelles, sécuritaires et diplomatiques, affaires économiques et financières, affaires socioculturelles, reconstruction et infrastructures). Ce schéma offrirait un équilibre entre efficacité et représentativité tout en renforçant la cohésion gouvernementale et la redevabilité collective.