La chute d’Uvira pourrait-elle relancer Doha et la tenue du dialogue national ?
La province du Sud-Kivu n’a plus, une nouvelle fois, de chef-lieu sous contrôle de Kinshasa. Le 10 décembre, l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), soutenue par le Rwanda, s’est emparée de la ville d’Uvira, capitale provisoire du Sud-Kivu depuis la chute de Bukavu en février.
Cette percée militaire intervient moins d’une semaine après l’entérinement à Washington, le 4 décembre, d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda. Cette escalade démontre encore une fois la fragilité des processus en cours et l’urgence de finaliser les pourparlers de Doha. Mais la conclusion du processus de Doha suffira-t-elle à contenir une rébellion qui bénéficie toujours d’un soutien de Kigali ?
Bonjour et bienvenu dans le 49e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, la capsule audio qui décrypte l’actualité de la RDC. Je suis Ithiel Batumike, chercheur au pilier politique à l’institut Ebuteli. Cette semaine, nous analysons les implications de la chute de la ville d’Uvira.
Le retour du président Félix Tshisekedi à Kinshasa, le 5 décembre, a été célébré par la majorité au pouvoir comme l’avènement d’une nouvelle ère de pacification de la RDC, confrontée à une guerre vieille de trois décennies et aux agressions récurrentes du Rwanda. L’Union sacrée de la nation (USN) avait mobilisé des foules pour saluer la « victoire diplomatique » du chef de l’État.
Pourtant, cette euphorie contrastait fortement avec la situation sur le terrain : l’AFC/M23, appuyée par le Rwanda, poursuivait son offensive vers Uvira.
Quelques jours ont suffi pour révéler les limites immédiates des « accords de Washington ».
Dans son discours sur l’état de la nation, prononcé le 8 décembre devant le Parlement réuni en Congrès, Félix Tshisekedi a lui-même reconnu la poursuite des hostilités en faisant remarquer ce qui suit : « Malgré notre bonne foi et l’accord récemment entériné, force est de constater que le Rwanda ne respecte pas ses engagements : ses supplétifs de l’AFC/M23 ont multiplié les attaques — notamment à Kaziba, Katogota et Lubarika au Sud-Kivu — brisant le cessez-le-feu et ravivant la détresse des civils. »
Même l’appel du Groupe de contact international pour les Grands Lacs — incluant les États-Unis — exhortant le M23 et les Forces de défense rwandaises (RDF) à cesser leurs opérations n’a pas infléchi la dynamique militaire. La poursuite active du soutien rwandais au M23 montre que la diplomatie devrait dépasser les condamnations verbales à travers de communiqués pour user des véritables leviers susceptibles de contraindre le Rwanda à honorer ses engagements. L’absence de mécanismes coercitifs réduit ces engagements à des déclarations largement théoriques.
Les forces de la coalition AFC/M23–RDF ont finalement pris Uvira après le retrait des troupes loyalistes appuyées par l’armée burundaise et les Wazalendo.
En occupant Uvira malgré l’accord de Washington, l’AFC/M23 semble vouloir délivrer un message explicite : seuls les pourparlers de Doha l’engagent réellement. Même si le cessez-le-feu décidé dans ce cadre de discussions n’a pas non plus été respecté.
Faute d’accord global, un accord-cadre minimaliste a été signé le 15 novembre entre le gouvernement congolais et la rébellion. En dehors de deux premiers protocoles déjà signés mais non exécutés, six autres protocoles additionnels constituant l’ossature du règlement politique du conflit, n’ont pas encore été négociés.
Le 9 décembre, l’AFC/M23 a annoncé la convocation par le Qatar d’un nouveau round de discussions en raison de la dégradation rapide de la situation sur les lignes de front et plus particulièrement autour d’Uvira.
Dans ce contexte, la reprise des pourparlers apparaît comme une fenêtre de désescalade, mais tout dépend une fois de plus de la bonne foi des parties.
Cependant, il est temps que Doha cesse d’être un cadre du statu quo où les deux parties prenantes se parlent continuellement pour confirmer leurs désaccords. Certaines demandes du M23 comme le fédéralisme exigent un débat national impliquant toutes les couches de la population congolaise. Ainsi, le cadre bipartite de Doha devient limité et inapproprié pour lever des options fondamentales sur l’avenir de la nation. Le M23 ne peut pas se prétendre légitimement représentant de toute la population. De son côté, le gouvernement ne peut pas avancer sur des sujets aussi sensibles sans un consensus avec les autres forces vives du pays. Le risque d’un cadre strictement bilatéral est double : il personnalise le conflit en réduisant les autres acteurs à des spectateurs d’enjeux qui les concernent pourtant directement. Elle rend surtout hypothétique la mise en œuvre d’un quelconque compromis qui a priori se butera à l’hostilité des autres forces vives de la nation.
En effet, les questions relatives aux six protocoles non encore discutées devraient l’être dans un format plus inclusif, à l’instar de celui que proposent les églises catholique et protestante dans le cadre du pacte social pour la paix et le bien vivre ensemble. L’avantage de ce dialogue réside dans le fait qu’il permet de faire participer aux discussions les autres composantes de la nation pour éviter que les deux protagonistes n’imposent leurs agendas au pays sans tenir compte d’autres sensibilités. Le dialogue comprenant les autres forces vives de la nation tels que la société civile, les groupes armés locaux, l’opposition non armée permet ainsi de marginaliser les deux protagonistes et de faire triompher les intérêts républicains sur ceux des camps opposés actuellement dans ce conflit. Ce n’est qu’à cette condition qu’il est possible d’espérer la fin des hostilités pour permettre le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire et relancer une trajectoire démocratique stable.
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