Goma : un massacre et des questions brûlantes
Sur les vidéos, des soldats de la garde républicaine, surarmés, déplacent plus d’une dizaine de corps ensanglantés de civils. Ce sont eux-mêmes qui viennent de les tuer, avec leurs armes de guerre. Les scènes qui se sont produites à Goma, le mercredi 30 août, dépassent l’entendement. Elles illustrent les profondes défaillances de l’armée congolaise, et de son leadership politique, qui devraient amener à un sursaut.
Bonjour et bienvenue dans le 35e épisode de la saison 3 de Po Na GEC, la capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, coordonnateur des recherches sur la violence à l’Institut Ebuteli, et cette semaine, nous nous intéressons au massacre de civils par des membres de l’armée congolaise à Goma .
Au centre de cette tragédie, il y a un mouvement politico-religieux présent depuis quelques mois dans la capitale du Nord-Kivu, la Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations. Son message, teinté de mysticisme, est ultra-nationaliste. Il appelle notamment au départ de la Monusco, ainsi qu’à celui de tous les étrangers, y compris la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est et des ONGs internationales.
Cette secte avait déjà organisé des manifestations à Goma, comme le 30 juin dernier. Des chèvres y avaient été sacrifiées. Certains de ses membres portaient des bâtons et autres armes contondantes. Néanmoins, aucun incident violent n’avait été rapporté.
Son leader, Ephraim Bisimwa, avait appelé à une nouvelle manifestation, le 30 août, visant notamment les emprises de la Monusco et qui avait été interdite par le maire de la ville. La veille du jour J, il avait réitéré son appel au rassemblement. Le message était à nouveau étrange. Il y évoque le sacrifice de ses adeptes. Mais il ne contenait pas d’appel direct à la violence.
Pourtant, selon la chronologie que nous avons pu établir, la tuerie de ses partisans a débuté dès 4 heures du matin environ, lorsque la garde républicaine est intervenue à la radio de la secte, pour procéder à des arrestations. Dès cet instant, la répression paraît disproportionnée : au moins six fidèles sont tués.
Après ce premier incident, un policier, qui ne participait apparemment pas à l’opération, est appréhendé par des fidèles, qui le lynchent. L’essentiel du massacre a eu lieu plus tard, à l’église de la secte, lorsque les soldats de la garde républicaine ouvrent le feu sur les fidèles, incendient l’église, et déplacent les corps des victimes dans ce qui ressemble à une tentative de dissimuler leur forfait.
Au total, 56 personnes ont été tuées et 75 blessées selon le bilan communiqué par l’auditeur supérieur du Nord-Kivu le 5 septembre. Ce bilan diverge toutefois encore de celui du ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, qui a avancé le nombre de 51 personnes tuées en conférence de presse le lendemain.
C’est, quoi qu’il en soit, le massacre de civils le plus important perpétré par les services de sécurité dans l’Est de la RDC sous Félix Tshisekedi.
Cette ampleur a pourtant tardé à être reconnue par les autorités, ainsi que par la Monusco. Leurs communications ont dans un premier temps minimisé, justifié, voir attribué la responsabilité du massacre à la secte, ou à sa supposée manipulation par le Rwanda. Pourtant, aucune arme de guerre n’a été retrouvée parmi les fidèles. Cela souligne que l’exécutif et la mission de l’ONU se sont laissés, à minima, manipuler par les informations fournies par les FARDC.
Il a fallu attendre que des vidéos de l’incident soient diffusées sur les réseaux sociaux, remettant radicalement en cause la crédibilité de cette version, pour que le président Tshisekedi décide, à partir du 1er septembre, de l’envoi d’une délégation ministérielle à Goma pour éclaircir l’affaire, et que des militaires soient jugés.
Cette initiative, bien que trop tardive, pourrait être salutaire tant nombre de points restent à éclaircir. L’ordre d’opération, que nous avons pu lire qualifie notamment la secte de « supplétif du mouvement M23-RDF », dont la marche aurait pour but de semer « des troubles afin de faciliter l’infiltration de l’ennemi dans la ville ». Cela ne s’est bien sûr pas produit. Comment les services de renseignements ont-ils pu communiquer de telles théories ? Que s’est-il passé précisément à la fois à la radio et à l’église ? Qui a donné l’ordre d’ouvrir le feu et pourquoi ?
Au-delà des responsabilités immédiates de ce drame, le pouvoir devrait également méditer sur sa responsabilité dans le contexte qui a permis à un tel drame de se produire. Tout d’abord, ce type d’incident peut être rapproché d’autres cas de répressions disproportionnées de mouvements politico-religieux ces dernières années, comme ceux de Bundu dia Kongo. Les responsables de ces excès n’ont pas été jugés de manière adéquate, entraînant l’impunité.
De plus, l’incident a été commis dans une province sous état de siège, une mesure décidée par le président, qui a donné de larges pouvoirs à l’armée et à la police et restreint la liberté de manifestation. Ce contexte a pu contribuer à désinhiber les militaires, ainsi qu’à brouiller la chaîne de responsabilité dans le maintien de l’ordre.
La volonté affichée de faire toute la lumière sur cette affaire est louable. Mais elle doit aller jusqu’au bout, pour éviter que de tels drames puissent se reproduire.
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