Affaire Mutamba : que reste-il de la décence politique en RDC ?
« Je sens l’odeur de la corruption… ». Vous vous souvenez peut-être de cette phrase. Elle est de Constant Mutamba, ministre de la Justice, prononcée le 5 mars aux côtés de Judith Suminwa, Première ministre, lors du lancement d’une campagne de mobilisation de la jeunesse contre la corruption. Deux mois et demi plus tard, tout bascule. Le 21 mai, le procureur général près la Cour de cassation a demandé à l’Assemblée nationale l’autorisation d’instruire des poursuites contre Mutamba. En cause : un marché public attribué de gré à gré à une société peu expérimentée pour la construction d’une prison à Kisangani. Comment un ministre apparemment si offensif contre la corruption se retrouve-t-il aujourd’hui au centre d’une affaire de détournement présumé ? Et, surtout, que va-t-il faire ?
Bonjour et bienvenue dans ce 20e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, la capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) qui analyse, chaque semaine, un sujet de l’actualité congolaise. Je suis Ange Makadi Ngoy, chercheuse à Ebuteli. Nous sommes le vendredi 23 mai 2025.
Dans le gouvernement Suminwa, Constant Mutamba ne dirige pas un ministère ordinaire. Depuis sa nomination en 2024, il s’est positionné en chantre de la réforme judiciaire : offensives contre la corruption, injonction de poursuites contre des officiers accusés d’avoir abandonné leurs positions, mais aussi contre l'ancien président Joseph Kabila et de Corneille Nangaa, chef de l'Alliance Fleuve Congo (AFC), branche politique du groupe rebelle M23, collecte d’offrandes pour les Wazalendo, bras de fer avec les magistrats sur le surpeuplement carcéral, mais aussi sur l'intégration du ministre de la Justice au sein du Conseil supérieur de la magistrature, proposition d’un projet de loi portant création d’un tribunal pénal financier et plaidoyer pour la peine de mort contre les détournements de fonds publics.
En novembre 2024, il annonçait même des enquêtes contre le procureur général près la Cour de cassation, concernant l’acquisition d’un bien immobilier de 900 000 euros à Bruxelles. Le même procureur qui sollicite aujourd’hui de poursuites contre lui.
Mutamba est en effet au cœur d'un scandale de détournements présumés de deniers publics. Des documents administratifs retrouvés sur les réseaux sociaux ont révélé l'attribution d’un marché public de gré à gré à l’entreprise Zion Construction SARL pour la construction d’une prison à Kisangani. Cette société, créée en 2024, a obtenu en mars de cette année un contrat d’un montant de 39 millions de dollars. Une somme de 19 millions de dollars, soit près de 50 % du coût total, a déjà été débloquée.
Alors que va faire Mutamba ? Démissionnera-t-il au nom d’une certaine élégance politique ? Ou dénoncera-t-il une instrumentalisation de la justice à son encontre ? Cette question reste ouverte, d’autant qu’aucune pression politique forte ne s’exerce à ce stade.
Ce ne serait pourtant pas inédit sous le président Félix Tshisekedi. En juin 2020, Célestin Tunda Ya Kasende, alors ministre de la Justice, avait été poussé à la démission après avoir transmis au Parlement un avis juridique sans validation du gouvernement dans le cadre d’une réforme judiciaire controversée. Étant de la famille politique opposée au pouvoir, son acte n’était pas forcément un choix éthique mais une démission forcée sous pression politique.
Mais à l’inverse, Nicolas Kazadi, ministre des Finances au moment des faits, avait été cité dans une affaire de détournements de fonds publics destinés à la construction de forages et à l’achat de lampadaires. Malgré la clameur publique, il n’avait pas quitté ses fonctions, avant d’être simplement écarté lors d’un remaniement.
Faut-il donc attendre un remaniement pour assumer une responsabilité politique ?
C’est peut-être là l’autre leçon de cette affaire : en RDC, la décence politique est rarement volontaire. Elle ne s’impose que sous contrainte, rarement par principe. Et l’absence de culture de la redevabilité politique entretient l’idée qu’aucun compte ne se rend sans crise, ni calcul politique.
L’affaire Mutamba rappelle aussi une évidence : les gestionnaires des biens publics doivent se souvenir que ce qui sauve, ce n’est pas le populisme ou les discours mais une gestion transparente, rigoureuse et vérifiable. Parce qu’il ne suffit pas de dénoncer, il faut être irréprochable.
Dans l’ensemble, c’est notre système judiciaire qu’il faut interroger. Dans un système rongé par la corruption, ceux qui veulent réformer finissent par devenir victimes ou complices. L’important est que la justice, si elle est engagée, le soit de manière impartiale. Il faut éviter qu’elle devienne un outil d’élimination politique. Sinon, elle perdra sa légitimité et, avec elle, la confiance des citoyens.
Parce qu’on ne construit pas la justice à coups de lois taillées sur mesure, ni de réformes bâclées. Et dans ce climat, personne n’est à l’abri. Pas même ceux qui veulent faire le ménage.
L’Assemblée nationale, elle aussi, est à l'épreuve de feu. Face à cette demande de poursuites contre le ministre Mutamba, elle devra démontrer que les institutions ne sont pas que des prolongements de rapports de forces politiques.
En attendant la suite de la commission spéciale qui devra auditionner le ministre Constant Mutamba à l’Assemblée nationale, rejoignez notre fil WhatsApp en envoyant « GEC » ou « Ebuteli » au +243 894 110 542 pour recevoir Po Na Biso chaque vendredi sur votre téléphone. À bientôt !
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