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« Genocost » : quelle mémoire, pour quelle Histoire ?
Ce 2 août, pour la troisième fois, le président Félix Tshisekedi a présidé la cérémonie commémorative du « génocide congolais perpétré pour des fins économiques (Genocost) » en présence des tous les représentants des institutions et des ambassadeurs accrédités en RDC. Cette cérémonie officielle a été co-organisée par le Fonds national de réparation des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des victimes de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (Fonarev), un organisme étatique sous tutelle du ministère des droits humains.
Alors que la RDC traverse une énième guerre avec son cortège de souffrances, plusieurs questions interpellent : pourquoi « Genocost » ? Pourquoi la date du 2 août ? Et qu’est ce qui est fait pour les victimes au-delà des commémorations annuelles ?
Bonjour et bienvenue dans ce 31e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et d’Ebuteli, qui tente chaque semaine d’éclairer un sujet d’actualité en RDC. Je suis Reagan Miviri, chercheur à Ebuteli. Nous sommes le vendredi 8 août 2025.
Tout d’abord, pourquoi « Genocost » ? Selon les organisateurs, ce terme renvoie au génocide pour des gains économiques. Pour certains, au-delà d’être ambiguë, ce terme réduit des réalités complexes aux seuls intérêts économiques. Cette terminologie ne fait pas, selon eux, justice à la réalité des crimes tout autant graves: crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crimes de génocide, crimes d’agression documentés par plusieurs organisations dont les Nations unies. Elle viendrait au contraire ajouter de la confusion. Évidemment que le gain économique est une des motivations de certains crimes commis en RDC, mais il ne les explique pas tous et n’est d’ailleurs pas un élément pertinent pour parler d’un génocide.
Au sens juridique du terme, et particulièrement l’article 2 de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le génocide est définit comme un crime commis dans l’intention de « détruire, ou tout, ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Le génocide est un crime qui peut se produire aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix.
Lors de son allocution, le président a d’ailleurs préféré parler des génocides au pluriel. Il a même appelé les deux chambres du Parlement à examiner et adopter, dans les meilleurs délais « une résolution officielle proclamant, au nom de la Nation, la reconnaissance des génocides commis sur notre sol. » Il a précisé que « ce ne serait pas qu’un symbole, mais un acte souverain de vérité et de mémoire ».
Il est vrai que la mémoire d’une nation repose sur des événements du passé soigneusement choisis par l’État pour transmettre à la population une certaine version de l’histoire. Toutefois, il nous paraît difficile de construire une mémoire collective sans une compréhension rigoureuse et commune des faits historiques. Il nous paraît aussi illusoire de mobiliser tout le peuple en se limitant à des narratifs, pilotés par l’État, et qui ne sont pas reçus de la même manière par tous les individus.
Par exemple, certains activistes ont refusé de participer à la commémoration officielle en présence des personnalités qui sont accusées d’être parmi les auteurs des crimes commémorés. Ils se sont réunis séparément avec un discours relativement différent de celui du gouvernement. Par ailleurs, le choix de la date du 2 août interroge aussi. Elle fait référence à la date de création du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) considérée historiquement comme le lancement de la deuxième guerre d’agression menée par le Rwanda sous couvert du RCD. Que fait-on des crimes commis auparavant ? Deux ans plus tôt, le Rwanda était déjà à la tête d’un « conglomérat d’aventuriers » qui avait mis fin aux 32 ans du règne de Mobutu le 17 mai 1997. Cette campagne militaire va être marquée par une série de massacres et nombreux autres crimes graves. On pourrait donc aussi bien choisir la date du 17 mai qui est paradoxalement aujourd’hui dédiée à la célébration des forces armées de la RDC.
Enfin, toute démarche mémorielle devrait placer la justice pour les victimes au premier plan. La demande de la ministre des Droits humains, Chantal Mwavita, aux Nations unies et aux États membres de l'Union africaine pour la création du Tribunal pénal international spécial pour la RDC semble aller dans ce sens. En attendant, la meilleure façon de commémorer les crimes du passé est de faire cesser ceux qui se commettent encore aujourd’hui en mettant au centre la protection des civils et prévenir d’autres crimes par des garanties de non répétition.
Vous pouvez recevoir Po Na Biso sur votre téléphone, chaque vendredi, en envoyant « GEC » ou « Ebuteli » au +243 894 110 542. À la semaine prochaine.
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