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Pourquoi Félix Tshisekedi refuse-t-il la main que lui tend l'opposition ?

Pourquoi Félix Tshisekedi refuse-t-il la main que lui tend l'opposition ?

Oct 17, 2025
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À l’occasion de la deuxième édition du Global Gateway Forum, le 9 octobre à Bruxelles, le président Félix Tshisekedi a improvisé, durant son discours, un appel à une « paix des braves » à son homologue rwandais Paul Kagame, présent dans la salle. Le rejet de cette « main tendue » ne s’est pas fait attendre. Deux jours plus tard, s’adressant à la diaspora congolaise dans la même ville, le chef de l’État a, à son tour, rejeté la main que lui tendent certains acteurs politiques congolais réclamant un dialogue interne et inclusif. Parallèlement, l’ancien président Joseph Kabila a réuni à Nairobi, les 14 et 15 octobre, autour de lui une frange des forces socio-politiques et mis sur pied le « Mouvement sauvons la RDC ». Kabila sollicite de nouveau un dialogue national. Le président Tshisekedi ne devrait-il pas, lui aussi, répondre à la main qui lui est tendue par certains acteurs congolais ?

 C'est le sujet de ce 41e épisode de la saison 5  de Po Na Biso, la capsule audio d'Ebuteli, et du Groupe d'étude sur le Congo (GEC) qui analyse, chaque semaine, un sujet d'actualité congolaise. Je suis Henry-Pacifique Mayala, coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu. Nous sommes le vendredi 17 octobre 2025.

 « J'ai tendu la main à celui qui représente les forces qui agressent la République démocratique du Congo pour prendre à témoin le monde entier. Je continue d’attendre une offre de la part du Rwanda », s’est justifié le président Félix Tshisekedi devant la diaspora congolaise de Belgique. « Il pourra toujours attendre jusqu’aux calendes grecques », a rétorqué Kigali.

Du coté rwandais, les autorités considèrent que le président congolais a abusé d’un podium destiné à la coopération mondiale sur les infrastructures, le développement durable et la connectivité pour faire du « cinéma politique ». Kigali estime que l’accord de paix conclu le 27 juin 2025 à la Maison-Blanche entre les deux pays reste la seule référence pour les questions relatives à la crise sécuritaire dans l’est de la RDC.

En effet, le Congo et le Rwanda sont engagés dans un processus de paix qui stagne. La signature des principes du Cadre d’intégration économique régionale entre les deux pays dans le prolongement de l’accord de Washington, n’a pas eu lieu comme initialement prévu pour fin septembre. La partie congolaise a conditionné la signature de ce volet important de l’accord au retrait des troupes rwandaises déployées sur le sol congolais en soutien à la rébellion AFC/M23. Kigali, de son côté, soutient qu’il ne lèverait ce qu’il qualifie de « mesures de défense » qu’en cas de neutralisation préalable des FDLR, perçus comme une menace existentielle à sa sécurité, tout en continuant de nier la présence de ses troupes sur le sol congolais. Une présence pourtant documentée par plusieurs rapports du groupe d'experts des Nations unies et d'ONG indépendantes.

Ce bras de fer illustre la méfiance persistante entre Kinshasa et Kigali, et la fragilité du compromis obtenu à Washington.

 Par ailleurs, les discussions directes de Doha entre les autorités congolaises et la rébellion, à la demande du Rwanda, n'ont jusque-là pas connu beaucoup de progrès considérables. Aucune des parties ne s’est pleinement conformée au plus récent cessez-le-feu décrété le 4 août 2024  . 

 En parallèle, à Nairobi, une partie de l'opposition, avec laquelle le président Félix garde ses distances, s’est réuni en conclave des forces politiques et sociales pour porter Joseph Kabila à la tête d’une coalition visant à «libérer la RDC du joug de la dictature », tout en exigeant la tenue d’un dialogue national. Sans Moïse Katumbi, Martin Fayulu ni Delly Sesanga, cette plateforme illustre la fragmentation persistante de l’opposition congolaise.

Le chef de l’État, malgré le peu d’avancées des processus de paix en cours, et la situation confuse sur le terrain, se montre peu favorable à un dialogue qu’il n’aurait pas initié. Il boude ainsi l’idée d’un  « pacte social » portée par les pères spirituels de la RDC, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC). 

Pourtant, l’opinion congolaise semble majoritairement favorable à un tel cadre de concertation. Selon le sondage d’Ebuteli réalisé en décembre 2024, soit avant la chute de Goma et Bukavu, disponible sur notre Congomètre, 78 % des personnes interrogées estimaient qu’une table ronde inclusive regroupant tous les acteurs socio-politiques serait une solution pour renforcer la cohésion nationale, contre 16 % seulement qui s’y opposaient. Dans le même temps, 42 % jugeaient acceptable que le gouvernement négocie avec le M23 pour mettre fin au conflit dans l’Est, tandis que 51 % rejetaient cette option.

Ce contraste est révélateur : le président Tshisekedi semble aller à contre-courant de l’opinion nationale. Il accepte de discuter avec l’AFC/M23 à Doha, ce qui constituait pourtant sa ligne rouge jusqu’à la prise de Goma et Bukavu, mais refuse de dialoguer avec l’opposition politique. Autrement dit, il tend la main à ceux qui ont pris les armes, tout en la retirant à ceux qui s’opposent par des moyens non armés. 

Si le président Tshisekedi veut réellement s’illustrer comme un homme de paix, il a aujourd’hui l’opportunité d’innover sur le modèle de dialogue qui conviendrait. Un format  ne  privilégiant pas le partage de pouvoir politique ou des grades militaires, mais une réflexion inclusive définissant les bases d’une gouvernance responsable, la transparence des scrutins électoraux et l’avènement d’une justice réparatrice impartiale. 

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