Le procès Kabila, entre justice et instrumentalisation politique
Le « procès Kabila » a eu lieu. L’ancien président de la République a été reconnu coupable de toutes les charges retenues contre lui, notamment trahison, viol, crime de guerre. Il risquait la peine capitale ; il a été condamné à mort. « Procès historique », selon le pouvoir de Kinshasa. Événement nauséabond , « dernier acte de la tragi-comédie qui se jouait depuis quelques mois à la Haute cour militaire », selon les soutiens de Joseph Kabila. Et la justice dans tout ça ?
Bonjour ! Je m’appelle Trésor Kibangula. Je coordonne les recherches sur la politique à Ebuteli. Vous écoutez le 39e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Nous sommes le vendredi 3 octobre 2025.
Au terme de deux mois d’audiences aux allures de spectacle, le mardi 30 septembre, l’ancien président a été condamné à mort par contumace et sommé de payer plus de 30 milliards de dollars américains. La Haute Cour militaire a ordonné son arrestation immédiate. Or, Joseph Kabila n’étant ni au pays ni dans les zones sous contrôle gouvernemental, cette arrestation est improbable, tout comme le paiement des réparations. La confiscation de ses biens, telle que sollicitée par les parties civiles, n’a pas été ordonnée. Vraisemblablement, Kabila ne contestera pas la décision devant la justice : son camp, qui ne s’attendait pas à obtenir justice, a préféré boycotter le procès. Enfin, pour un « procès historique », il n’y a eu ni célébrations massives ni protestations d’ampleur.
Parce que, fondamentalement, il n’y a pas eu de justice. Pour l’ONG américaine de droits de l’homme Human Rights Watch, ce procès portait « toutes les caractéristiques d’une vendetta politique […], un signal d’alarme qui annonce une dérive autoritaire de plus en plus marquée ». Dans de telles circonstances, il était pratiquement impossible d’assurer un procès équitable ; la sécurité de l'accusé et de ses avocats elle-même pouvait être compromise.
Par ailleurs, les avocats de la République, grassement payés, se sont livrés à une rhétorique populiste contestant tout de l’ancien président, y compris sa nationalité congolaise. Un spectacle diffusé à la télévision nationale, accentuant l’image d’une mise en scène.
Pour autant, l’ancien président n’est pas irréprochable. Son régime a été marqué par des crimes graves commis par les services de sécurité. Les dernières années de son règne ont été caractérisées par une répression violente de l’opposition et de la société civile qui s’opposaient à son maintien au pouvoir au-delà des délais constitutionnels. Des organisations militantes ont depuis longtemps déposé des plaintes contre des responsables de son régime – certains ayant rejoint aujourd’hui la coalition de Félix Tshisekedi. L’entourage de Kabila et lui-même sont aussi accusés de crimes économiques. Mais ces faits, bien que documentés, n’ont jamais été instruits sérieusement par la justice.
C’est là toute contradiction : ce procès n’a pas porté sur les crimes commis sous le mandat de Kabila mais sur ceux attribués à l’AFC/M23 : viol, homicides, déportations de déplacés, occupation de la ville de Goma, … En l’accusant d'être « l’un des initiateurs de l’AFC/M23 » et en le rendant ainsi responsable des exactions commises par ce groupe armé, le pouvoir a brouillé les lignes entre justice, responsabilité politique et règlement de comptes. Un paradoxe d’autant plus grand que, dans le même temps, Kinshasa négocie avec le même AFC/M23 à Doha, et que les preuves pour étayer ces accusations se sont révélées insuffisantes, voire inexistantes.
Si ce procès a quelque chose d’historique, c’est qu’il fait de Joseph Kabila le premier ancien président de la République condamné devant la justice congolaise depuis l’indépendance. Mais ce précédent est dangereux. Car Kabila est aussi le premier président à avoir cédé le pouvoir – certes à l’issue d’une élection contestée. Il était alors célébré par le camp de Tshisekedi comme artisan de « l’alternance démocratique ».
Après avoir fragilisé les garanties de protection sociale, politique et sécuritaire accordées à Kabila par la loi portant statut des anciens présidents de la République élus, le régime de Tshisekedi a choisi de le poursuivre pénalement.
Dans tous les cas, la dimension politique prime ici. Ce procès apparaît ainsi comme l’ultime étape du divorce politique entre Kabila et Tshisekedi, ouvert en 2020 avec l'explosion de la coalition FCC–CACH. Plus qu’un verdict judiciaire, c’est un signal politique : l’ancien allié est devenu l’ennemi à abattre. Mais en transformant la justice en instrument de lutte politique, le pouvoir prend le risque de délégitimer l’ensemble de l’appareil judiciaire.
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