Wagner, pouvoir et sexisme en politique en RDC
C’est une « déclaration personnelle » qu’elle aurait sûrement voulu éviter. Mais face à la violence des attaques sexistes dont elle est la cible, Thérèse Kayikwamba Wagner a publié, le 7 novembre, un communiqué pour dénoncer le harcèlement autour de sa grossesse et de sa vie privée. Alors que la ministre des Affaires étrangères porte le front diplomatique de la crise sécuritaire dans l’Est, la polémique, elle, ne porte pas sur ses actions politiques, mais sur son intimité. Et c’est tout le problème : quand il s’agit d’une femme, on déplace le débat politique vers le contrôle social du corps féminin.
Bonjour,
Je m’appelle Trésor Kibangula. Je coordonne les recherches sur la politique à Ebuteli. Vous écoutez le 45e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, le podcast d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), qui, chaque semaine, donne notre point de vue sur un sujet d’actualité en République démocratique du Congo.
Ces attaques sexistes posent une question simple : pourquoi, en politique, le corps des femmes devient-il un « champ de bataille » ? Ce n’est pas propre au Congo ni à l’Afrique. Ce machisme persistant s’est vu ailleurs : il y a presque 20 ans, en France, la grossesse de Rachida Dati, alors garde des Sceaux, avait déclenché spéculations et jugements moraux.
Aujourd’hui, même schéma : pour une femme, la frontière entre vie publique et vie privée s’efface ; ce qui serait anodin pour un homme devient motif de soupçon. Les gardiens autoproclamés de la morale brandissent le « devoir d’exemplarité ». Dans un passé récent, Aminata Namasia, alors vice-ministre, en a fait les frais. Problème : cette exemplarité est à géométrie variable. On exige d’une femme d’être irréprochable sur des sujets qu’on n’évoque jamais pour un homme : son statut marital, sa maternité « au bon moment », son apparence, sa disponibilité. Et, au passage, on oublie commodément que beaucoup d’hommes politiques ont des vies privées tout aussi « non conformes » sans jamais subir le même niveau de mise au pilori.
En conséquence, la peur des rumeurs sur leurs vies privées freine tant de jeunes personnalités féminines ambitieuses et potentiellement talentueuses. Une étude menée en 2022 dans dix villes du pays par des chercheurs de l’Université de Lubumbashi révèle qu’en RDC, 81 % des femmes politiques ont subi au moins une forme de violence ou d’attaque sexiste. Certes, ces violences ne suffisent pas, à elles seules, à expliquer la faible présence des femmes dans les institutions politiques, mais elles constituent l’un des obstacles les plus dissuasifs dans un environnement politique déjà difficile d’accès. Tenez, à l’Assemblée nationale par exemple : à peine 14 % des députés nationaux sont des femmes, selon les données collectées par Talatala. Ce n’est pas qu’une statistique : c’est un appauvrissement du débat démocratique. Moins de femmes, c’est moins de diversité d’expériences, moins de perspectives, moins d’équilibre dans la prise de décision.
Dans un groupe WhatsApp très fréquenté par les politiques, sur les réseaux sociaux, ou encore dans des couloirs de nos lieux de travail pendant la pause-café, certains convoquent les « valeurs africaines ». En clair : une femme adulte, consentante, ne devrait pas tomber enceinte, vivre seule ou en couple sans mariage. D’autres évoquent l’éthique des agents publics. Mais là encore, les mêmes règles sont rarement brandies avec la même vigueur quand il s’agit d’hommes.
Il faut prendre au sérieux l’argument culturaliste… pour mieux le démonter. La culture n’est ni homogène, ni figée. Elle varie d’une province ou d’une région à une autre, d’une famille à l’autre, et elle évolue avec le temps. Certaines pratiques que l’on présente aujourd’hui comme des « traditions » ont été réinventées, importées parfois sous l’influence religieuse ou coloniale. Autrement dit, invoquer la culture pour justifier des discriminations n’est pas une fatalité : c’est un choix. À nous de décider quelles valeurs nous voulons préserver (par exemple, la solidarité, le respect, le sens de la famille) et lesquelles nous devons résolument abandonner quand elles servent à exclure.
Nous disposons de trois leviers concrets pour changer le cap. D’abord, arrêter de nourrir les polémiques sur l’intime : une femme ministre, mariée ou non, est d’abord comptable de sa politique, pas de sa conformité à des canons sociaux. Faire en sorte que les règles éthiques encadrent l’usage du pouvoir, pas la vie intime des femmes qui y accèdent. Ensuite, instaurer des garde-fous : dans nos institutions, nos partis, les médias et nos organisations citoyennes, il faut des règles claires contre les attaques sexistes et le harcèlement, avec des sanctions, réelles, quand il le faut. Enfin, nous atteler à former, protéger et promouvoir les talents féminins. En tout cas, si nous voulons plus de compétence et d’équité en politique, il faut en finir avec ces doubles standards qui minent la place des femmes dans la vie publique congolaise.
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