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L’artisanat minier en RDC est-il réformable ?

L’artisanat minier en RDC est-il réformable ?

Nov 28, 2025
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Le 17 novembre, un accident, survenu sur le site minier de Kalondo, dans la province du Lualaba, a causé la mort d’au moins 40 personnes. Ce drame a remis sous les projecteurs les faiblesses structurelles du secteur minier artisanal. Pourtant, cette économie, quoique largement informelle, fait vivre des centaines de milliers de ménages. Pourquoi est-il si difficile de réformer ce secteur ? 

Bonjour ! Je m’appelle Jacques Mukena. Je suis chercheur au pilier gouvernance d’Ebuteli. Vous écoutez le 47e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Nous sommes le vendredi 28 novembre 2025.

Comme souvent en République démocratique du Congo (RDC), l’écart entre les textes et leur application est immense. Le code minier prévoit que l’activité minière artisanale doit être exercée au sein de coopératives et uniquement dans des zones d’exploitation artisanale (ZEA). Ceci vise à la fois la sécurité des creuseurs artisanaux et leur ascension socio-économique. D’une part, les ZEA sont censées disposer de gisements de teneur suffisante, d’un minimum d’infrastructures et d’un encadrement officiel. D’autre part, ce dispositif est censé permettre à l’activité artisanale de se transformer progressivement en exploitation semi-industrielle.

En pratique, cette vision est loin d’être une réalité. 

Les chiffres de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) parlent de 84 ZEA actives dans le Lualaba et le Haut-Katanga. Mais très peu sont véritablement viables : faible teneur en minerai, absence d’infrastructures, absence de travaux de découverture. En conséquence, de nombreux creuseurs n’ont d’autres choix que d’opérer dans des concessions industrielles. Ils le font soit clandestinement, soit à travers des arrangements tacites avec les sociétés minières. Tant que ces arrangements fonctionnent, ils permettent une cohabitation, qui reste tout de même fragile. Dès que l’entreprise veut reprendre la main sur sa concession, les tensions apparaissent. C’est en partie ce qui se joue, par exemple, sur le site minier de Shabara au Lualaba, installé depuis plus d’une dizaine d’années sur la concession industrielle de Mutanda Mining (Mumi), liée au groupe Glencore.

Ailleurs, des creuseurs pénètrent discrètement sur des sites industriels, parfois avec la bénédiction des autorités politiques locales ou nationales, parfois en complicité avec les agents de sécurité des concessions minières. Cela crée des situations explosives, surtout lorsque des militaires sont appelés à les faire déguerpir de force. Dans le cas de l’accident sur le site de Kalondo, par exemple, la Garde républicaine a tiré des coups de sommation pour disperser les creuseurs qui avaient envahi le site appartenant à la société Pajeclem. La panique qui s’en est suivie a provoqué une bousculade des creuseurs sur un pont de fortune, qui s’est effondré.

Sur papier, le règlement minier confie la sécurisation des sites miniers à la seule police des mines. Les autres services de sécurité ne sont pas censés s’y trouver, encore moins lever des taxes ou frais informels sur l’activité minière. Sur le terrain, c’est l’inverse qui s’observe, et cette situation est bien connue des autorités publiques.

La présence de militaires (Garde républicaine, FARDC et divers services de renseignement) est abondamment documentée. Guillaume Ngefa, ministre de la Justice, a d’ailleurs ordonné fin octobre des poursuites judiciaires contre les civils et militaires impliqués dans la fraude minière à la suite d’un rapport de la commission nationale de lutte contre la fraude minière (CNLFM). Cette mesure soulève tout de même une question : de combien de rapports supplémentaires l’État a-t-il besoin pour identifier et sanctionner des pratiques aussi visibles et connues de tous, et surtout ceux qui les orchestrent ?

Ces pratiques se retrouvent aussi dans la commercialisation des minerais, à travers des structures liées à des responsables publics ou à leurs proches. La loi interdit pourtant aux agents de l’État d’exercer dans l’artisanat minier, mais ces derniers le font de manière indirecte, en recourant à des prête-noms. Il en résulte des liens étroits entre autorités publiques, coopératives et comptoirs d’achats et un conflit d’intérêts structurel évident. Parce que ceux qui peuvent influer sur les règles et les contrôles du secteur disposent aussi d’outils économiques pour en profiter. Dans ce contexte, parler de réforme revient à demander aux bénéficiaires du système de scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Après l’incident de Kalondo, le gouvernement a annoncé l’identification de 64 ZEA dans le Lualaba qui sont, en tout cas selon lui, économiquement et techniquement viables. La mesure va dans le sens des réformes annoncées depuis des années. Elle pourrait, sur le papier, offrir aux creuseurs des sites plus sûrs et mieux encadrés. Mais elle ne répond ni à la question des intérêts privés déjà en place dans cette filière, ni à celle de la présence persistante des services de sécurité dans les sites miniers. 

En attendant les nouvelles réformes, rejoignez notre fil WhatsApp en envoyant « GEC » ou « Ebuteli » au +243 894 110 542 pour recevoir Po Na Biso chaque vendredi. À bientôt.

 

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