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RDC : le ministre de l’Intérieur peut-il instruire la suspension des motions de défiance en période de guerre ?

RDC : le ministre de l’Intérieur peut-il instruire la suspension des motions de défiance en période de guerre ?

Nov 7, 2025
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Le 5 novembre, Jacquemain Shabani, ministre de l’Intérieur a instruit les assemblées provinciales de voter une résolution suspendant  toute pétition et motion de défiance ou de censure compte tenu de la situation sécuritaire dans l’est du pays. Cette décision fait suite à la correspondance de la présidence de la République du 28 octobre, lui confiant la mission d’interdire toute motion ou pétition contre les membres des gouvernements provinciaux ou des bureaux des assemblées provinciales selon le cas. Toutefois, ce rôle politique assigné au ministre de l’intérieur relève-t-il de ses attributions ?

Bonjour ! Je m’appelle Débora Sabanga, fellow à Ebuteli. Vous écoutez le 44e épisode de la saison 5 de Po Na Biso, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Nous sommes le vendredi 7 novembre 2025.

Depuis la relance de la décentralisation en RDC, les institutions politiques provinciales se caractérisent par une forte instabilité. Entre pétitions correctives et motions intempestives, les assemblées provinciales mobilisent des moyens de contre-pouvoir qui, à force d’être répétés, soulèvent des problématiques de portée nationale. Ces initiatives, excessives soient-elles, sont justifiées par la mauvaise gouvernance, le détournement des deniers publics, l’incompétence dans la gestion des provinces, les atteintes aux droits et libertés fondamentaux, ainsi que le retard dans l’examen des initiatives des assemblées.

Dans la province du Kongo-Central, par exemple, les récentes pétitions contre les président et vice-président de son assemblée se sont accompagnées d’une saisine de la Cour constitutionnelle et d’une convocation du ministre de l’intérieur pour une consultation. Mais cette situation n’est pas un cas isolé. La motion de défiance votée contre le gouverneur de la Tshopo a également suscité la réaction du ministre de l’Intérieur, qui n’a pas tardé à convoquer le gouverneur de province, les membres du bureau ainsi que les députés auteurs de la pétition. Il en est de même de la menace de crise que subissaient les institutions provinciales du Sud-Kivu. L’on se souviendra également de la convocation par le ministre de l’Intérieur du gouverneur du Haut-Katanga à la suite de ses propos jugés controversés au sujet de la situation sécuritaire à l’est du pays.

Tous ces exemples sont révélateurs du rôle désormais assigné au ministre de l’Intérieur, pourtant sans aucun soubassement juridique. Mais cette outrance n’est pas un fait nouveau. Sous le mandat du premier ministre Sama Lukonde, le ministre de l’Intérieur, Gilbert Kankonde, a déjà annulé des motions contre des gouverneurs des provinces. 

Face à cette situation, lors de la 12e session de la conférence des gouverneurs, il a été formulé plusieurs recommandations, notamment celle de mettre fin à l’ingérence du pouvoir central dans les affaires qui relèvent des provinces. En outre, une marche pacifique s’est tenue en juillet 2025 dans la province du Kasaï-Central afin de condamner cette posture du ministre de l’Intérieur dans la gestion des crises au niveau provincial. Et plus récemment, le député Meschack Mandefu a adressé, ce jeudi 6 novembre , une question d’actualité au ministre de l’Intérieur, remettant en cause le fondement de sa compétence et sa légitimité.  

En effet, cette tendance à faire du ministre de l’Intérieur « l’autorité de tutelle » des provinces pèche contre les principes constitutionnels de la décentralisation, de la séparation des pouvoirs et de la libre administration des provinces. Pour justifier de telles pratiques jugées inconstitutionnelles, il est évoqué un souci de suivi de la bonne gouvernance provinciale, sans tenir compte du danger que représente cette approche à l’égard du régionalisme politique institué depuis la Constitution de 2006. Ce déclin du régionalisme politique est d’autant plus flagrant lorsque, au nom du bon fonctionnement des institutions, les assemblées provinciales se trouvent privées de leur mission constitutionnelle, puisque astreintes à voter un acte d’engagement relatif au moratoire sur les motions de censure, de défiance et des recommandations. Ce mode de gestion de crise interroge également sur l’inaction des institutions judiciaires face à certaines accusations constitutives d’infraction, à l’instar du détournement des deniers publics. 

Par ailleurs, il convient de relever deux faits intimement liés. Premièrement, à tort ou à raison, les députés provinciaux qui votent des motions de censure ou de défiance considèrent que l’ingouvernabilité des provinces est provoquée par le patronage de Kinshasa.

Deuxièmement, l’ingérence du pouvoir central dans l’administration et organisation politique des provinces conforte ces reproches, et illustre l’instrumentalisation de son rôle de supervision, ainsi que de la mission du président de la République qui, aux termes de la Constitution, est le garant du bon fonctionnement des institutions et de la continuité de l’État. De plus, il ne demeure pas moins vrai que cette déviation est nourrie par les dispositions constitutionnelles elles-mêmes qui, depuis la révision de 2011, ont dévolu au président de la République la prérogative de relever de ses fonctions un gouverneur de province ou de dissoudre une assemblée provinciale « en cas de crise persistante ». 

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