La campagne pour faire reconnaître un « génocide congolais »
Dans son discours à l’Assemblée générale de l’Organisation des nations unies, le 23 septembre à New-York, le président congolais Félix Tshisekedi a demandé aux responsables des différents pays de reconnaître le « génocide congolais ». Cette qualification controversée est adoptée depuis longtemps à Kinshasa. Mais la campagne pour obtenir sa reconnaissance internationale est relativement nouvelle. Cette stratégie est-elle efficace ?
Bonjour et bienvenu dans le 38e épisode de la saison 5 de Po na Biso, la capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, directeur du pilier violence à l'institut Ebuteli. Cette semaine nous nous intéressons à la volonté de Kinshasa d’obtenir une reconnaissance internationale d’un « génocide congolais ».
L’Assemblée générale de l’ONU, au cours de laquelle le président congolais a fait ces déclarations, a été l’occasion d’un autre événement symbolique : la reconnaissance de l’État palestinien par douze nouveaux pays, dont la France et le Royaume-Uni. Cette décision fait notamment suite à la mobilisation internationale pour qualifier de « génocidaires » les opérations de l’armée israélienne à Gaza après les attaques du 7 octobre 2023. Cette qualification a d’ailleurs été retenue par une commission d’enquête du conseil des droits de l’homme de l’ONU le 16 septembre.
La Commission s’est ainsi affranchie des accusations de négationnisme souvent associées à la qualification de « génocidaire » pour des actes de l’armée israëlienne : le peuple juif ayant été victime de génocide, utiliser ce terme pour les actes de l’État hébreu est régulièrement taxé de relativiser la Shoah, voire de la nier.
Quelle que soit la qualification des actes perpétrés par l’armée rwandaise sur le sol congolais, on remarque qu’elle est aussi issue d’une nation qui a connu un génocide, et que les accusations de génocide portée à son encontre sont aussi taxées de négationnisme par Kigali. Le ministre rwandais des affaires étrangères a d’ailleurs réitéré cette accusation à New-York après le discours du président Tshisekedi.
On peut le regretter, mais, de fait, la qualification de « génocide » entraine une attention internationale et une compassion beaucoup plus importante que celle de « crimes de guerre » ou « crimes contre l’humanité», qui ont été plusieurs fois documentés en RDC. La stratégie de Kinshasa semble destinée à faire valoir l’égale dignité des victimes congolaises du conflit dans l’Est du pays et probablement à dénier au gouvernement rwandais une forme de supériorité morale du fait du génocide des Tutsi de 1994. Mais pourront-elles y parvenir de cette façon ?
Il faut rappeler que le génocide dispose, depuis 1948, d’une définition juridique assez précise, mais difficile à prouver, puisqu’il faut démontrer que les meurtriers avaient « l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». La reconnaissance internationale de tels faits est généralement fondée sur la reconnaissance d’institutions ayant qualité pour les juger, dont notamment des tribunaux internationaux.
Dans le cas de la RDC, il n’y a pas, à ce jour, de tribunaux internationaux qui aient condamné des individus pour génocide sur le sol congolais. Or Kinshasa ne s’était jusque-là que peu mobilisé pour obtenir que les exactions commises au Congo soient jugées. Le gouvernement congolais a certes collaboré avec la Cour pénale internationale (CPI), mais il n’a pas véritablement soutenu les initiatives telles que celle du docteur Denis Mukwege, visant à créer un tribunal pénal international pour le Congo ou à instaurer des « chambres mixtes », constitués de magistrats internationaux et congolais.
On n’a également peu entendu le gouvernement congolais réclamer la publication des annexes au rapport du projet mapping du haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, concernant les crimes commis entre 1993 et 2003. Mais dans un discours le 8 septembre, à Genève, le président congolais a exposé sa nouvelle stratégie, je cite : « un, cartographier les faits à caractère génocidaire commis en République démocratique du Congo au cours des 30 dernières années ; deux, établir l'existence de génocides perpétrés sur notre territoire à l'aune des critères reconnus par le droit international ; trois, mettre en place une architecture de justice transitionnelle ». On remarque que le président affirme l’existence d’un génocide congolais, avant que la « cartographie » et l’ « établissement » qu’il appelle de ses voeux n’ait eu lieu.
Pour que cette reconnaissance ait du poids, il serait nécessaire qu’elle émane d’institutions crédibles dans le cadre de procédures impartiales.
Si injuste soit le manque de reconnaissance internationale à l’égard des crimes dont sont victimes les Congolais, on imagine difficilement cette initiative y remédier. L’effort devrait probablement prioritairement porter sur le jugement impartial de tous les crimes commis dans l’Est de la RDC, quelle que soit leur nature, qu’il reviendra aux juges de déterminer. Sans cela, les chances que la campagne aboutisse à une reconnaissance internationale vont rester minces.
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