Avons-nous besoin d’une nouvelle Constitution en RDC ?
Samedi dernier, le professeur Isidore Ndaywel a présenté le projet d’une nouvelle Constitution de la République démocratique du Congo. Cet historien, aussi aussi pour son rôle à la tête du comité laïc de coordination dans les mobilisations pour le respect de la Constitution, justifie sa proposition par le constat de la crise démocratique persistante, « le pillage sauvage des ressources » et la menace à l’intégrité du pays. Pour Ndaywel, cette nouvelle Constitution répond au besoin « d’assurer la sauvegarde de la Nation et marquer un tournant décisif dans le cheminement [des Congolais]». Mais est-ce opportun aujourd’hui de faire cette proposition ?
Bonjour! Je m’appelle Fred Bauma. Je suis analyste et directeur exécutif d’Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence. Vous écoutez le 33e épisode de la saison 3 de Po Na GEC, capsule audio d’Ebuteli et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) de l’Université de New-York.
Ce n’est pas la première fois que le professeur Ndaywel se livre à cet exercice. En février 2020, il avait déjà avancé l’idée d’une révision constitutionnelle sans pour autant mettre l’accent sur le mandat du président de la République qui suscite beaucoup d’attention en RDC, comme dans d’autres pays africains.
En fait, cette nouvelle proposition de Ndaywel a deux mérites : elle ramène l’intellectuel congolais au centre de l’animation du débat politique, dans un pays où le débat public est dominé par des querelles politiciennes. Ndaywel propose aussi des solutions claires, quoique discutables. En effet, dans l’introduction qui accompagne la proposition et qui est publiée dans la revue Congo-Afrique, Isidore Ndaywel revient sur les défis politiques, économiques et sécuritaires auxquels fait face la RDC depuis plusieurs années. En proposant une nouvelle constitution, il offre une opportunité de débattre sur la structure de l’État congolais et son objet ultime. Ndaywel s’inscrit ainsi dans la même ligne que Delly Sesanga, qui, au lendemain des élections contestées de 2018, introduisit une pétition de révision constitutionnelle. « Il y a des faiblesses, nous souhaitons les corriger, pas détricoter les textes », déclarait Sesanga en 2019.
Cependant, la question de la révision constitutionnelle et a fortiori celle d’une nouvelle constitution est un tabou au sein de l’opinion congolaise et de la classe politique. Pas par désaccord sur la réalité des dysfonctionnements de l’État et nécessité de grandes réformes des institutions, mais par crainte que le débat constitutionnel ne soit instrumentalisé au bénéfice d’un camp politique et contre l’intérêt général. Cette crainte est d’autant plus grande lorsque le débat constitutionnel survient en période électorale. Comme le reconnaissent les éditeurs de la revue Congo-Afrique, la proposition Ndaywel « coïncide hélas avec une certaine rumeur au sujet d’une éventuelle Constitution en cours d’élaboration par le parti au pouvoir ». Plutôt que de renforcer la cohésion nationale et de conduire à un débat republicain sur l’avenir de notre commune patrie, la proposition Ndaywel risque donc d’être perçue, à tort ou à raison, comme une proposition partisane, dont le but est de servir les intérêts d’un camp politique. La proposition d’instaurer un double et unique mandat présidentiel de neuf ans risque de renforcer cette perception et cristallise toute l’attention. Ceci pourrait être vu comme une manière d’offrir au président actuel un troisième ou même un quatrième mandat.
Aussi, la proposition constitutionnelle de Ndaywel est une mise à jour du projet de constitution issue de la Conférence nationale souveraine(CNS) d’il y a trente et un an. Le professeur Ndaywel explique le choix de ce texte par la qualité intellectuelle de ses auteurs, et l’inclusivité du processus qui a conduit à sa validation. S’il est vrai que cette mouture de base résulte du véritable débat national qu’a été la CNS, il s’agit, comme pour la constitution de 2006, d’un consensus issu d’un moment de crise. C’est aussi un moment historique lointain pour la majorité des Congolais. Plus de sept congolais sur dix sont nés après la fin de la CNS et très peu connaissent le fond des discussions de cette conférence. Aussi, les différentes guerres qui ont endeuillé la RDC et qui ont profondément changées l’imaginaire collectif du Congolais, son rapport avec la terre, l’État, la capitale, ou la sécurité, sont aussi postérieures à ce pacte de la CNS.
Vingt ans après la signature de l’accord de Sun city, base de consensus politique qui a conduit à la constitution actuelle, il est important d’avoir un réel débat national pour évaluer ce pacte d’après-guerre et d’adapter l’architecture institutionnelle aux défis et ambitions de la RDC. Une architecture à même de mettre fin à la prédation de la bourgeoisie politique et économique congolaise, et de permettre une économie et des politiques justes. Cependant, ce débat qui ne conduit pas forcément à une nouvelle constitution, devra se faire dans un temps non suspect et dans un environnement de confiance renforcée entre les acteurs. Ce débat national doit précéder une quelconque proposition de nouvelle constitution ou de révision constitutionnelle.
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