Construisez chez vous, oui mais où ?
Depuis quelques jours, une polémique enfle sur la twittosphère congolaise autour du slogan « construisez chez vous ». Tout est partie d’une publication X rappelant les expulsions de 1992 des Kasaïens établis au Katanga. Dans la discussion qui suivit, certains internautes soutenaient que les Kasaïens n’ont pas construit l’espace Kasaï et se sont contentés de vivre et investir ailleurs. Mettant en avant des témoignages personnels des souffrances endurées en 1992 par les Kasaïens, les autres ont jugé ces propos de séparatistes et tribalistes. Ce à quoi l’auteur de la publication répondit : « Construisez chez vous !!! Arrêtez avec cette victimisation qui tend à devenir comme une seconde nature »
Au-delà de la polémique et de l’avalanche de haine qui en résulte, ce slogan soulève une question fondamentale, à savoir : que signifie « chez soi » dans le contexte congolais ? Dans quelle mesure l’unité nationale est compatible avec les différences tant territoriales que culturelles?
Bonjour et bienvenue dans ce 33e épisode de la saison 4 de Po Na Biso, la capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et Ebuteli qui analyse chaque semaine un sujet de l’actualité en RDC. Je suis Reagan Miviri, analyste des conflits à Ebuteli.
Alors qu’on présente le slogan « construisez chez vous » comme « un appel citoyen aux filles et fils de la RDC à s'investir dans le développement de leur terroir », les débats qui s'ensuivent révèlent une crise identitaire profonde en RDC. Entre ceux qui soutiennent qu’ils sont chez eux partout en RDC, les autres qui pensent que chez soi, c'est là où on a plus d’ancrage peu importent les origines. Et ceux qui insistent d’abord sur l’appartenance à une province, à une chefferie, une tribu…On remarque des visions différentes de l’identité congolaise.
L’unité nationale est au centre de la Constitution de 2006, l’article premier présente la RDC comme un État de droit uni et indivisible. Plus loin, la Constitution elle-même reconnaît le fait que la RDC est un assemblage des groupes ethniques et territoires par la volonté du colon. L’article 10 qui traite de la nationalité d’origine consacre qu’est Congolais d’origine, « toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo à l’indépendance ». La Constitution congolaise essaye ainsi un équilibre entre l’appartenance ethnique et l’appartenance nationale.
Il est vrai que plusieurs personnes font référence aux origines des ascendants pour s’identifier tout en ayant des plus forts attachements avec d’autres lieux soit parce qu'elles y sont nées ou y ont vécu ou y ont des intérêts patrimoniaux. Or, l'état civil congolais n’accentue que cette première référence de l’identité : les documents officiels dont la carte d'électeur, faisant office de carte d’identité, contiennent une rubrique « origine » qui renseigne la province, la chefferie, le groupement. Mais est-ce que ces éléments sont pertinents ou suffisants pour l’identification d’une personne au jour le jour ?
Prenons l’exemple d’une personne née à Kinshasa de parents nés à Kisangani mais dont les grands-parents sont originaires de Kabambare dans le Maniema et de Kitona dans dans le Kongo
Central. Cette personne réside à Goma où elle possède des biens immobiliers. Quel est son « chez soi » ? Où se sent-elle chez elle ? Est-ce que l’individu au jour le jour se sent attaché au lieu où il vit ou à ses origines ?
Autant de récits familiaux que de parcours personnels qui montrent que l’identité est complexe et dépend des conjonctures et choix qu’une seule vision ne peut l’exprimer.
En somme, la nécessité de connaître et de valoriser les origines quelles qu’elles soient devrait être l’apanage de la sphère privée, l’État se limitant au rôle d’assurer un écosystème propice à la jouissance de chaque identité autant qu’elle ne nuise à autrui. L'entreprise visant à gommer les différences culturelles est autant périlleuse qu’inutile. Les visions de l’identité ne sont pas mutuellement exclusives, elles peuvent coexister. Les seuls à condamner ce sont ceux qui veulent imposer une seule vision de l'identité et ceux qui propagent la haine.
On peut bien s’identifier en tant que Congolais ou Congolaise tout en valorisant sa riche culture particulière à un coin de la République auquel on se sent attaché. Le préambule de la Constitution le déclare bien : « Nous, peuple congolais, […] affirmant notre détermination à sauvegarder et à consolider l’indépendance et l’unité nationales dans le respect de nos diversités et de nos particularités positives […] déclarons solennellement adopter la présente Constitution ».
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