Kabila, est-ce l’homme de la situation ?
« Je fais ce jour une proposition qui engage la nation toute entière à un sursaut patriotique pour un pacte citoyen, afin de tirer le pays du gouffre. » C’est sur cette proposition en 12 points que l’ancien président Joseph Kabila a clôturé un long réquisitoire contre ce qu’il présente comme le chaos provoqué par son successeur.
Alors que son manque d’autocritique sur sa responsabilité personnelle dans la crise politico-sécuritaire actuelle étonne, il y a lieu de s'interroger sur le rôle qu’il compte jouer.
Bonjour, je suis Reagan Miviri, analyste des conflits à Ebuteli. Vous écoutez le 21e épisode de la saison 4 de Po Na Biso, la capsule audio d’Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) qui analyse, chaque semaine, un sujet de l’actualité congolaise. Nous sommes le vendredi 30 mai 2025.
Le 24 janvier 2019, Kabila a passé le pouvoir à son successeur aux termes d’une crise pré-électorale violente et d’élections dont les résultats présidentiels ont été falsifiés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, proclamé président de la République, ont alors instauré une cohabitation qui durera deux ans avant d'imploser. Cette période marquera le prélude à la crise politique et à la crise sécuritaire que connaît le pays aujourd’hui.
En effet, pour se défaire de l’accord de gouvernement conclu avec le régime de Kabila, Félix Tshisekedi décide de se rapprocher du Rwanda de Kagame, afin de se prémunir des potentielles menaces de son ancien partenaire et réduire l’influence de l’ancien régime. Il renverse ensuite la majorité parlementaire à sa faveur et place sous état de siège les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Le rapprochement avec Kigali durera jusqu’à la rupture de fin 2021.
Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette rupture, notamment les rivalités régionales entre le Rwanda et l'Ouganda. Ce dernier avait été invité à mener des opérations conjointes avec les Forces armées de la RDC (FARDC) contre les Forces démocratiques alliées (ADF), le groupe terroriste d’origine ougandaise qui tue les civils en RDC. Ce rapprochement entre Kinshasa et Kampala a ravivé les tensions avec Kigali, alors en froid avec l’Ouganda et dont les frontières respectives étaient fermées. Le Rwanda va dès lors soutenir la résurgence du Mouvement du 23 mars (M23). La riposte militaire inefficace du gouvernement congolais, appuyé par les groupes armés, n’empêchera pas le contrôle des territoires par les rebelles et les troupes rwandaises.
Revenir sur ce contexte est important pour comprendre les origines structurelles de la crise actuelle : combien le deal électoral de 2018 n’est pas lointain à la crise actuelle et explique en partie la posture de l’ancien président Kabila. Le bilan négatif qu’il dresse de la gouvernance actuelle est bien réel et largement partagé par une partie de l’opinion. Cependant, le M23/AFC ,avec lequel il cohabite désormais à Goma, est aussi accusé d’exécutions extrajudiciaires, de limitations arbitraires des libertés publiques et d’une difficulté à protéger les civils contre les tueries, viols, et vols à mains armées. Kabila n'a eu aucun mot dans son discours pour les dénoncer ni pour rappeler la nécessité de la protection des civils.
En choisissant de revenir au premier plan, Joseph Kabila cherche manifestement à repolitiser une crise que les processus de Doha ou de Washington tendent à réduire à sa seule dimension militaire ou régionale. Il tente ainsi de reconfigurer le débat, en remettant la question du verrouillage institutionnel au cœur du jeu.
Mais pour que son rôle soit perçu comme stratégique et lisible, il devra clarifier sa posture: après ses prises de parole offensives contre le pouvoir et son silence sur les exactions du M23, il ne peut plus prétendre incarner une figure de médiateur national. Le choix qui se profile est plus tranché : assumer une opposition politique — en tentant de reconstruire un leadership — ou glisser vers une légitimation de l’opposition armée. Une troisième voie, conciliant retrait et influence, semble aujourd’hui de moins en moins tenable.
Kabila pourrait encore jouer un rôle positif si et seulement si, il reconnaît sa responsabilité dans la crise actuelle et s’engage, loin de tout appétit du pouvoir, dans une dynamique de désescalade et de dialogue national pour la paix, le développement et la construction d’un l’État de droit en RDC.
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